Magazine Humeur

Paralipomènes pour une archéologie du lien entre sardouïsme et sarkozysme

Publié le 20 janvier 2010 par Desiderio

Mariah-Samanthah me demande de nouveau secours.

A l'aide cher comte ! Voici le texte que notre prof barbu et chevelu qui doit voter Europe Ecologie ou MoDem nous a donné dans le cadre du programme national "sardouïsme et sarkozysme" pour faire un bac blanc de français. Il dit que cela correspond au niveau des STG et que c'est compatible avec le débat sur l'identité nationale, mais moi je ne comprends strictement aucune des références historiques ou culturelles. Je suis perdue dans cette époque si différente de la mienne.

Quand je pense à la vieille Anglaise
Qu'on appelait le "Queen Mary"
Echouée si loin de ses falaises
Sur un quai de Californie

Les falaises en question sont les falaises de Douvres telles que les découvre un Français se rendant dans l'archipel depuis Calais. Or, il semble que le Queen Mary partait en réalité de Southampton vers l'Amérique. L'erreur n'est que de cent miles et de quelques dizaines de yards. En tout cas, la Grande-Bretagne doit être entourée de falaises sur toutes ses côtes, tout comme la Normandie. Mais elle permet de mettre en valeur la différence de niveau de l'altitude et de la noblesse britannique avec la bassesse étatsunienne. Il est entendu dans le discours du poète que tout ce qui se réfère au Nouveau Monde est inférieur, car profondément mercantile surtout si on associe la Californie à Hollywood et Disneyland. Cela ne l'empêche nullement d'avoir chanté le contraire auparavant. Comme tous les grands artistes, il est en proie à ses contradictions internes qui le font souffrir.

Quand je pense à la vieille Anglaise
J'envie les épaves englouties
Longs courriers qui cherchaient un rêve
Et n'ont pas revu leur pays

La vieille Anglaise fait allusion au surnom anglais du Queen Mary, The Old Queen. Ce n'est pas une traduction exacte, mais cela constitue une transition habile vers le refrain qui suit où vieille Anglaise et France se répondent. Les autres vers sont d'inspirations clairement rimbaldienne et évoquent le Bateau ivre. A moins que ce ne soit Oceano Nox ! Et pourquoi pas Baudelaire ? Tout est permis lorsque l'on joue sur les clichés.

{Refrain:}
Ne m'appelez plus jamais France
La France elle m'a laissé tomber
Ne m'appelez plus jamais France
C'est ma dernière volonté

Le refrain, très patriotique, met en valeur un exemple du volontarisme gaullo-pompidolien de l'époque, honteusement sabordé par les forces giscardo-mitterrandienne, tout comme notre Concorde, notre Caravelle, nos Mirage, nos Rafale, notre DS, notre char Leclerc, notre Minitel, notre ORTF, nos centrales nucléaires, etc. Il met en valeur l'identité nationale : rappelez dans votre copie que le nom France est alors lourdement symbolique et que l'on ne peut brader ainsi un patrimoine avec un tel nom à n'importe qui (par exemple des Norvégiens qui sont incapables de devenir européens et qui rebaptisent le bateau en anglais).    

J'étais un bateau gigantesque
Capable de croiser mille ans
J'étais un géant, j'étais presque,
Presque aussi fort que l'océan

On sent là une inspiration profondément baudelairienne. Avec sa coque de géant, ce navire était incapable de continuer à voguer dans un monde devenu trop petit. Ou alors un rappel du Hugo des Travailleurs de la mer qui abonde en géants. 

J'étais un bateau gigantesque
J'emportais des milliers d'amants
J'étais la France, qu'est-ce qu'il en reste ?
Un corps-mort pour des cormorans

Notons ici le jeu de mots final et la touche subtilement baroque du squelette. Bien entendu, il est défendu de se poser des questions au sujet du genre du navire, puisque le France est devenu la France d'un coup de baguette magique et que l'on a affaire à une métaphore de son propre pays. Il s'agit d'exalter la grandeur de ce pays, même si l'on vend des navires, des avions, des voitures ou des armes aux autres pays qui ne sont que des charognards. L'important est de conforter l'image de la France comme pays de l'amour et de la grandeur. Même et surtout au cours du débat de l'indignité nationale.  


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