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UN POU D'ORGUE, mini-feuilleton en 17 épisodes (suite du 21 janvier)

Publié le 21 janvier 2010 par Christian Cottet-Emard

La version 2009 intégrale de ce mini-roman humoristique que j'ai écrit en 2008 est parue en édition pré-originale dans la revue des éditions Orage-Lagune-Express qui en conservent l'entier copyright. Tous droits réservés.

9
La vieille Jacinthe releva la boîte aux lettres où elle trouva une enveloppe destinée au professeur Bang, ferma la porte de la cure et entra dans l’abbatiale par la petite porte de la sacristie. Elle n’osait plus passer par l’entrée principale à cause du monstre qui se prélassait toujours sur les tuyaux du grand orgue. Elle trottina en direction du professeur qui s’entretenait avec le curé, le maire, monsieur Cafardo et le garde-champêtre. « Professeur, voici le courrier que vous attendez » grinça la vieille Jacinthe, en ajoutant : « Bon, c’est pas tout ça, mais j’ai du ménage. » La vieille Jacinthe se retira et le professeur décacheta l’enveloppe. Il lut rapidement quelques feuillets et soupira : « c’est bien ce que je pensais... »
— Mais encore ? s’inquiéta le maire.
— Pediculus humanus capitis, prononça le professeur d’un air blasé.
— Plaît-il ?
— Un pou. Il s’agit d’un pou tout ce qu’il y a d’ordinaire, hormis sa taille bien sûr. Un bon vieux pou de tête.
— Bon ! Ben maintenant qu’on est sûr de savoir ce que c’est, on peut le zigouiller ! claironna le garde-champêtre.
Au même moment, une version aquatique de la Marseillaise retentit dans la poche de pantalon du garde-champêtre. « Allô ? Bonjour monsieur Hénol. Vous n’arrivez pas à joindre monsieur le maire ? Justement, il est ici, avec moi, à l’abbatiale. Oui monsieur, très bien. À tout de suite. Attendez, monsieur Hénol, monsieur le maire voudrait vous parler, Monsieur Hénol ? Allô ? Trop tard, il a raccroché.
— Qu’est-ce qu’il voulait ? s’impatienta le maire.
— Il dit qu’il doit vous parler et qu’il arrive. D’ailleurs, j’entends sa voiture qui se gare dans la cour. 
— Mon dieu ! s’affola le maire. Alastair, je vous en prie...
— Mais qu’est-ce qui vous prend, mon cher ?
— Adolphe Hénol va arriver d’une minute à l’autre.
— Et alors ?
— Alastair, il ne sait pas que vous êtes ici et quand il va vous voir...
— Ne craignez rien, mon cher. Il ne me fait pas peur, ce nabot de Phénol !
— Ce n’est pas ce que je voulais dire. Alastair, je vous en prie, la situation est déjà assez compliquée. Nous risquons un éclat. Je vous en conjure...
— Mais que voulez-vous que j’y fasse ?
— Alastair, je vous le demande comme un service personnel... Pouvez-vous nous laisser quelques instants ? Hénol ne restera pas longtemps. Je vous en supplie, au nom de notre vieille amitié !
— C’est bien pour vous être agréable, grogna le professeur.
— Trop tard, bredouilla le maire, j’entends la porte de la sacristie... Alastair, le confessionnal. Faites-le pour moi. Dissimulez-vous dans le confessionnal, juste un instant... Merci mon cher Alastair. Vous êtes un ami, un vrai. Mille fois merci !
— Ça va... Ça va... maugréa le professeur en pénétrant dans le confessionnal.
— Hénol a sa tête des mauvais jours, fit remarquer Cafardo.
— Vous me ferez signe quand il aura sa tête des bons jours, siffla le maire. Bonjour, mon cher Adolphe !
— Monsieur le maire, on a des ennuis...
— Je m’en étais aperçu, Adolphe.
— Les herboristes amateurs ont viré la presse. Demain, on aura le correspondant sur le dos. Ils ne le supportent plus. Le président m’a téléphoné pour se plaindre et m’a menacé de charger lui-même cette éponge dans un taxi aux frais de la commune. Le jour de l’assemblée générale, il a dévoré la moitié du buffet à lui tout seul et il a tellement bu qu’il a tenté de faire une photo avec son dictaphone.
— Il ne manquait plus que ça, grommela le maire. Qu’est-ce que vous avez à renifler ainsi, Adolphe ?
— Humm, humm... Vous ne sentez pas une odeur bizarre, monsieur le maire ?
— Écoutez, mon vieux, s’énerva le maire, plutôt que de lever le nez en reniflant, essayez d’arranger cette histoire avec la presse.
— C’est pourtant vrai que ça sent mauvais dans le coin, s’exclama la vieille Jacinthe qui venait de réapparaître comme par enchantement. On dirait que ça vient de par là.
Elle désigna le confessionnal, plissa le nez, huma et flaira comme une fouine en chasse.
— D’où sortez-vous, Jacinthe ? Je croyais que vous aviez du travail, intervint le curé. Ne voyez-vous pas que nous sommes occupés ?
— Pour sûr, mon père. Mais ça fouette ! Ce serait pas une pipistrelle qu’aurait eu dans l’idée d’aller crever dans cette cabane ?
— Cette fois c’en est trop ! tonna le professeur Bang en s’éjectant du confessionnal.
La vieille Jacinthe glapit de frayeur.
— Ce... Cet immonde... Ce... Ce... Cette ordure de Bang ! feula le pharmacien.
— Dis-donc, espèce de bousier en bocal... menaça le professeur.
— Messieurs, messieurs, un peu de dignité, sermonna le curé.
— Alastair ! geignit le maire.
— Et alors ? gronda le professeur, vous croyez que je vais me laisser insulter par ce coprophage ?
— Je vais te faire une tête à ma façon, moi, éructa le pharmacien.
— Adolphe, mon cher, je vous supplie de rentrer chez vous, articula le maire avec peine.
— La tête, Adolphe, c’est moi qui vais te la réduire et tu pourras la conserver dans du formol, et même ta femme ne te reconnaîtra pas, espèce de...
Le professeur venait de s’interrompre. Les crochets du pou grinçaient contre les tuyaux.
— Il a bougé ! Cette vermine va finir par nous zigouiller ! bredouilla le garde-champêtre.
— Je préfère partir car je sens que je vais faire un malheur, déclara le pharmacien en se dirigeant vers la sacristie.
— Je suis mort de peur, ricana le professeur Bang, du haut de ses deux mètres.
— Alastair, croyez-vous qu’il faille poursuivre ces enfantillages ? soupira le maire.
— Vous avez raison, répondit le professeur. Monsieur le maire, aimez-vous la musique ?
— Euh, la musique ? Eh bien, eh bien... Oui, certainement, enfin... Oui, la musique...
Le maire se méfiait toujours de ce genre de question. En tant qu’élu du peuple, il devait aimer le ballon, le lancer de javelot, le tennis, la natation, la course à pieds, à cheval et en voiture, la pétanque, la boule lyonnaise, la philatélie, le bleu de Gex, les danses folkloriques, le théâtre amateur, la peinture sur porcelaine, le vol à voile, le twirling, les galettes du Sou des écoles, la choucroute des pompiers, le calendrier du facteur, les poètes locaux, le petit commerce, la grande distribution, alors oui, la musique, évidemment la musique, bien sûr qu’il aimait la musique !
— Et vous avez bien un organiste dans cette paroisse ? reprit le professeur Bang.
— En effet, nous avons monsieur Portevent, organiste titulaire de cet instrument et aussi monsieur Bedon, le diacre. Au fait, cela fait plusieurs jours que je ne l’ai pas vu, le diacre...
— Parfait, dit le professeur. Il faut contacter l’un ou l’autre. Nous allons offrir un petit concert à notre encombrant visiteur.

À suivre... Prochain épisode samedi 23 janvier 2010.

© Éditions Orage-Lagune-Express, 2009.


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