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Enfance et spiritualité 1

Publié le 20 janvier 2010 par Joseleroy

Je m'intéresse depuis longtemps au lien entre enfance et éveil. Douglas Harding m'avait déjà fait remarquer que l'enfant, assez spontanément, voit sa vraie nature. Douglas donne de nombreux témoignages dans ses livres de petits enfants décrivant  avec de nombreux détails une expérience de non-dualité.

Voici un texte d'Henri Le Saux sur Vedanta et l'enfance.

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"Dans le pays tamoul Dieu c'est l'enfant

Enfance spirituelle et oupanichad

II est courant dans la tradition indienne de comparer, l'état du parfait à celui de l'enfant; dans le pays tamoul, on dit, de façon encore plus énergique : Dieu, c'est l'enfant. Il vaudrait certainement la peine qu'un dévot indien de sainte Thérèse de Lisieux fasse l'inventaire des textes qui se rapportent à l'enfance spirituelle. Ici je me contenterai de présenter un texte de la Brihad-aranyaka-Upanishad (3, 5) qui m'a souvent frappé au cours de mes lectures. La traduction que j'en donnerai est sans doute un peu lâche, mais je suis convaincu qu'elle ne sera pas infidèle à la pensée de l'auteur et même qu'elle transmettra de façon plus claire au lecteur ordinaire l'essentiel de l'enseignement du texte sacré.
« Au cours d'une discussion sur le brahman (le Principe ultime, l'Absolu, à la fois immanent et transcendant à tout ce qui est), le prêtre Kahola demande au rishi Yâjnavâlkya :
— Yâjnavâlkya, pourriez-vous m'expliquer très exactement ce que c'est que ce brahman qui nous est immédiatement pré­sent, qui ne peut échapper à notre conscience (litt. : à nos yeux), cet àtman (cet « esprit », cette « âme », ce « soi ») qui est l'âme même de tout ce qui existe ?
— C'est votre âtman à vous-même, qui est en tout ce qui est.
— Quelle sorte d'âtman, précisément, qui est en tout ce qui est ? »
Yâjnavâlkya ne répond point alors par une définition. Le mystère dernier n'entre point dans nos définitions. Le maître ne peut jamais que diriger le regard du disciple sur ce qu'il veut lui faire voir. C'est le disciple lui-même, de ses propres yeux, qui doit découvrir ce que le maître peut au mieux lui indiquer. Et d'ailleurs, de telles questions au sujet de l'âtman et du brahman, n'est-ce pas équivalemment demander en plein midi quelle est cette lumière qui remplit tout et rend tout visible ?
En maître expérimenté, Yâjnavâlkya cherche donc simple­ment à ouvrir au-dedans les yeux de Kahola.
« Ce qui (en vous, en tout) est au-delà de la faim et de la soif, de la souffrance, du vieillissement et de la mort — cela, Kahola, ce« soi », quand le sage l'a reconnu, alors il ne sent plus aucun désir, ni pour descendance, ni pour richesse, ni pour quelque monde que ce soit (ici-bas ou au-delà), car tout cela ce n'est que du désir. Que le sage renonce donc au savoir et devienne comme un enfant. Puis qu'il abandonne l'enfance aussi bien que le savoir et devienne un mouni ! Finalement, indifférent autant à être mouni qu'à ne l'être pas, il deviendra un brahman (un authentique connaisseur du brahman).
— Yâjnavâlkya, comment donc deviendra-t-il brahman ?
— Mais simplement en le devenant, Kahola ! »
Dans le commentaire sur les Brahman-sutras (3, 4, 50), Shankara se demande ce qu'il faut entendre par cet état d'en­fance. Est-ce l'insouciance de l'enfant qui suit librement et aveuglément ses instincts et impressions ? Non, répond-il : ce qui caractérise l'enfance (spirituelle), c'est l'absence de malice et de vanité. L'enfant n'a aucune idée de jouer son personnage et faire montre de son valoir et de sa valeur - juste l'opposé de ce que l'oupanichad appelle pàndityam, la satisfaction de savoir et l'étalage de ce savoir. L'enfant, lui, est soi-même tout simple­ment, sans regard ni retour sur ce qu'il est ni sur la façon dont il l'est.
L'ascèse védantine peut se définir comme un retour aux origines, à cet état inné en nous qui n'atteint pas le processus du devenir et que ne peuvent toucher les changements que les conditions successives de l'existence provoquent en notre corps et notre pensée. Retour aux origines ? Plus exactement encore, découverte de ce qui est en nous au-delà de toute origine vécue, pensée ou sentie. Même quand l'adulte a reconnu ce mystère le plus intérieur de son être, ne cherche-t-il pas constam­ment à le formuler, à l'atteindre, alors que cela lui est réellement aussi immédiatement présent que la lumière à ses yeux et l'air à ses poumons ?
C'est sans doute cette totale transparence à soi-même de l'enfant au-delà de toute réflexion, qui frappe davantage la pensée indienne quand elle réfléchit sur l'état (plus que la voie) d'enfance spirituelle - du moins au niveau de la voierde sagesse ou Jnàna; car la tradition du bhakti (dévotion amoureuse) sera certainement sensible à l'attitude de confiance et d'abandon à l'amour paternel qui a été mis si fortement en valeur par la sainte de Lisieux.
Cependant l'oupanichad aime l'analyse, le paradoxe, les progrès indéfinis - car ne faut-il pas constamment arracher l'homme à tout ce en quoi il tend inéluctablement à s'arrêter, à se complaire, au cours du chemin ? Le plus haut et le plus sublime étant encore un obstacle sur la voie qui mène à ce qui est au-delà de toute mesure.
On penserait en fait que tout a été dit, une fois proposé l'idéal de l'enfant; mais non, il faut renoncer tout autant à être enfant qu'à être savant et devenir un mouni (ou bien : un silencieux, ou bien : celui qui est mené par l'inspiration intérieure), puis il faut abandonner tout intérêt à être ou n'être pas silen­cieux ou inspiré. Alors seulement on devient un vrai sage, celui qui connaît par expérience intime le mystère même du brahman et n'est plus en tout son être que le pur rayonnement de cet unique brahman.
Quelques commentateurs, dont Shankara lui-même dans un autre traité, ne peuvent accepter que l'oupanichad propose un état supérieur à celui d'enfance, et, pour ce, font violence au texte et cherchent à lire balya (a bref) « force » au lieu de bàlya, « enfance ». Cela à nouveau nous prouve l'importance de la tradition indienne sur la valeur suprême de l'état d'enfance dans la vie spirituelle.
Une explication fort simple d'ailleurs peut être donnée de l'antinomie. L'enfant, lui, est inconscient de son insouciance et de sa liberté, il ne pense pas qu'il agit en enfant. Mais l'adulte qui redevient enfant arrive mal à oublier qu'il est redevenu enfant; et, dans la formulation même de son état d'enfance, il redevient adulte : il en est de même de celui qui est en silence. Quand il devient conscient qu'il a atteint ce silence du dedans, il a déjà rompu ce silence et il n'est plus mouni. Au niveau de l'ultime expérience, de l'enfance parfaite et du total silence, tout s'est comme évaporé de ce qui pouvait être dit, de la sagesse, de l'enfance et du silence, il n'y a plus que le brahman, seul et sans second. Le cristal qui reflète la lumière est tellement un avec cette lumière qu'il ne sait plus rien ni de soi ni de cette lumière...
Il n'y a pas de mot pour dire ce mystère; il n'y a pas d'acte pour y atteindre. Cela est, tout simplement, comme l'enfant est, et est soi-même, sans y penser.
« Si vous ne devenez pas comme ces tout-petits, jamais vous n'entrerez au Royaume ! »
Henri Le Saux, Les Yeux de Lumière.

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