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D’ardoise et de sang, par Pascale Angles-Coulombeix

Par Jean-Michel Mathonière

D’ardoise et de sang, par Pascale Angles-Coulombeix. Brive, Editions Les Monédières, 2009. 200 pages, 19 €.

D’ardoise et de sang, par Pascale Angles-Coulombeix

Voici un nouveau livre sur le Compagnonnage et, ce qui est plus rare, sur les compagnons couvreurs. L’éditeur le résume ainsi en quatrième de couverture :

Suite:

« En 1912, Paul Bonfous épouse Adèle pour le meilleur et pour le pire. Celle-ci va être emportée malgré elle dans une aventure humaine exceptionnelle. En effet, son mari a entrepris un parcours initiatique dans le monde mystérieux du compagnonnage. Il est le fils d’un compagnon couvreur et c’est avec son père qu’il a mis en œuvre un projet de grande envergure. Ils ont récupéré les dessins préparatoires du chef-d’œuvre de maîtrise exécuté en 1837 par les compagnons couvreurs de la cayenne d’Angers, détruit en 1879. Ils entreprennent ensemble sa réhabilitation.

Mais la Grande Guerre éclate et le travail commun doit être interrompu. Paul est appelé sous les drapeaux. Il connaîtra l’enfer de Verdun. Une correspondance régulière avec sa famille l’aidera à supporter l’horreur de sa condition…

L’auteure, fascinée par le monde mystérieux des compagnons, a souhaité rendre hommage à ces hommes valeureux qui, épris de perfection, font de leur chef-d’œuvre un absolu de beauté. »

Pascale Angles-Coulombeix est native de Brive-la-Gaillarde (Corrèze). Elle a suivi des études littéraires, est professeur documentaliste et a déjà publié plusieurs recueils de poésie.

Le Compagnonnage est depuis George Sand le sujet de nombreux romans. Après avoir connu une certaine désaffection durant les années 1950-1980, le thème est revenu en force depuis une dizaine d’années. Ils sont nombreux les auteurs à avoir été séduits par les vertus des compagnons et à avoir pris la plume pour évoquer, avec plus ou moins de bonheur, le tour de France, le travail, les valeurs et les usages, toujours qualifiés de « mystérieux », des compagnons du tour de France : Bernard Lentéric : Le Secret (2001), Ginette Fauquet : La chaîne d’alliance (2004), Valentine Chaumont : Le Compagnon de Saumur (2004), Jeanne Cressanges : Le Soleil des pierres (2005), Henri Loevenbruck : Les Enfants de la veuve (2005), Colette Berthès : La Mémoire des chemins (2008), etc.

Celui de Pascale Angles-Coulombeix s’appuie sur un fait historique : la reconstitution du grand chef-d’œuvre des compagnons passants couvreurs d’Angers, entreprise par Alfred Bonvous (Angevin la Clef des Cœurs) et son fils Paul (Angevin Cœur de France), peu avant la Grande Guerre. Le fils, mobilisé, tombe à Verdun et le père achève seul le grand chef-d’œuvre qu’il dédie à son fils. On peut l’admirer au musée de Tours. P. Angles-Coulombeix l’y a vu et a été émue de ce destin brisé et de l’opiniâtreté du père qui sublime sa douleur dans le travail. S’agissant d’un roman, elle a pris le parti de s’écarter de l’histoire, d’abord en modifiant le patronyme des personnages (Bonvous est devenu Bonfous) puis en imaginant leur vie avant la guerre, le mariage du fils, la naissance de leur enfant, l’horreur des combats, la mort de Paul. Le roman se poursuit par l’annonce du décès par un camarade de tranchées, couvreur lui aussi, qui épouse la jeune veuve et aide le père à terminer le chef-d’œuvre. Mais il a du mal à épancher la soif d’amour de son épouse, laquelle cède aux avances d’un jeune aspirant tailleur de pierre, avant de reprendre le droit chemin. Le père Bonvous, lui, achève l’œuvre et, inspiré par son fils, il se rend à la Sainte-Baume…

Pour un lecteur non familier du Compagnonnage, le roman sera plaisant et émouvant, notamment en ce qui concerne l’évocation des massacres de la guerre. En revanche, celui qui est familier du Compagnonnage ne manquera pas de relever de grosses erreurs : Paul a achevé son tour de France en 1912 mais il porte une écharpe verte d’aspirant (impossible chez un couvreur Soubise, qui ne portait pas d’écharpe verte - comme à l’Union - et qui avait déjà achevé son tour). Il prépare son chef-d’œuvre, se marie, devient père et est ensuite reçu compagnon : là encore, impossibilité chez les Soubises à cette époque, car le jeune homme avait déjà fait sa vie de compagnon sur le tour bien avant de se marier. On imagine très mal aussi un compagnon de ce temps évoquer en détail les rites compagnonniques avec son épouse (p. 22-26), en lui parlant comme s’il lisait dans un livre. L’auteur emprunte en effet de larges extraits aux Mémoires de Perdiguier, cité d’ailleurs à plusieurs reprises (p. 59-62) par les Bonfous (alors que les Soubises ne le portaient pas dans leur cœur !). Erreur aussi, le fait qu’un aspirant tailleur de pierre (p. 166) porte déjà un nom de compagnon dont la forme, par ailleurs, est erronée (Angevin la Clef des Cœurs). Invraisemblance également, le fait que le père, Alfred Bonfous, doive subir les questions d’un jury pour présenter le grand chef-d’œuvre de sa cayenne, comme s’il s’agissait d’une seconde réception (p. 191). Il y a également une confusion entre les traditions des compagnons du Devoir du début du siècle et celles de l’Union Compagnonnique (p. 194-196). Il est probable que l’auteur a transposé dans ce roman ce qu’elle a vu chez les compagnons de la cayenne de Brive.

Ce roman présente en fait un intérêt en quelque sorte sociologique. Il illustre la perception qu’ont du Compagnonnage les personnes qui lui sont étrangères. Ici, on ne voit pas les Bonfous dans l’exercice de leur métier (trois lignes, p. 17-18 : « les toitures à réparer ne manquaient pas… »), ils sont présentés comme des « faiseurs de chefs-d’œuvre ». On sait combien cette image d’hommes entièrement absorbés par l’exécution de leurs maquettes, déplaît à juste titre aux compagnons, qui savent que leurs chefs-d’œuvre ne sont que des étapes et non des fins en soi. On mesure aussi combien il est difficile d’appréhender toutes les spécificités entre corps de métiers, sociétés, rites, Devoirs. Mais on mesure aussi de quel capital de sympathie bénéficient encore les compagnons, auxquels on prête toutes les vertus professionnelles et morales. Soyons honnêtes : il serait difficile d’y rester insensible à la lecture d’Ardoise et de sang.

D’ardoise et de sang, par Pascale Angles-Coulombeix

L'homme pense parce qu'il a une main. Anaxagore (500-428 av. J.-C.)


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