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UN POU D'ORGUE, mini-feuilleton en 17 épisodes (suite du 22 janvier)

Publié le 22 janvier 2010 par Christian Cottet-Emard

La version 2009 intégrale de ce mini-roman humoristique que j'ai écrit en 2008 est parue en édition pré-originale dans la revue des éditions Orage-Lagune-Express qui en conservent l'entier copyright. Tous droits réservés.

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Midi sonnait au clocher de l’abbatiale lorsque l’organiste Edgar Portevent décrocha son téléphone. «  Monsieur le maire ! Quel bon vent vous porte ? »
— Très amusant, monsieur. Pardonnez-moi de vous déranger à l’heure du déjeuner, monsieur Portevent, mais je dois vous parler de toute urgence.
— Certainement, monsieur le maire. C’est à propos de la subvention pour la restauration de l’orgue, j’imagine ?
— Le dossier est en cours mais je dois solliciter votre aide. Nous avons un problème particulier dont je souhaiterais vous entretenir en privé.
— Il y a un problème avec la subvention ?
— Non, non, comme je vous l’ai dit, le dossier est en cours...
— Très bien, mais ça fait des années que vous me dites que le dossier est en cours, alors j’espérais que votre appel...
— Monsieur Portevent, je préférerais vous parler de vive voix. Cela concerne quand même l’orgue.
— Alors, si cela concerne l’orgue... Passez donc me voir dans une heure.
— Très bien, à treize heures donc, monsieur Portevent.
— Sans vouloir vous commander, monsieur le maire, soyez exact. Vous savez que je suis très attaché  à la ponctualité.
— Ne vous inquiétez pas, je serai à l’heure, et merci de bien vouloir m’accorder un peu de votre temps, minauda le maire en pensant : ah, celui-là, avec sa pendule à la place du cerveau ! Va falloir qu’il la gagne sa subvention !
Dans sa hâte, le maire se présenta avec dix minutes d’avance au domicile d’Edgar Portevent. Il sonna et la porte s’entrouvrit, laissant apparaître un bras velu à l’extrémité duquel la longue main de l’organiste brandissait un gros réveil indiquant 12h50. La porte se referma et le maire attendit en fulminant. Lorsque treize heures tintèrent au clocher, il écrasa la sonnette en imaginant qu’elle faisait partie intégrante des organes vitaux d’Edgar Portevent. « Entrez donc, monsieur le maire. Vous savez, je n’étais pas tout à fait prêt. Nous avions bien dit treize heures, n’est-il pas ? Eh bien, je vous écoute, prenez place. Vous m’avez l’air bien préoccupé.
— Monsieur Portevent, je n’ai pas le temps de m’asseoir et je suis en vérité venu vous demander de m’accompagner à l’abbatiale. Vous pouvez peut-être nous aider à résoudre un problème qui nous a conduit à fermer l’église, ainsi que vous l’avez sans doute constaté.
— Certes. Vous auriez pu m’avertir de ces travaux.
— Il ne s’agit pas de travaux. Mais les mots me manquent pour vous décrire la situation. Le mieux serait que vous acceptiez de m’accompagner.
— Vous faites bien des mystères. D’accord, je vous accompagne. Vous m’expliquerez en chemin et nous pourrons parler de la subvention.

11
— Monsieur le maire, vous me décevez, commenta Edgar Portevent après avoir levé les yeux en direction du pou agrippé aux tuyaux de l’orgue. Voilà des lustres que je quémande une malheureuse subvention pour entretenir cet instrument et tout ce que vous trouvez à faire en faveur de ce fleuron de notre patrimoine musical, c’est de lui accrocher une de ces horreurs produite par un de ces artistes probablement subventionnés par vos amis politiques. Bon d’accord, c’est bien imité, mais ça coûte combien au contribuable ? Je suis sûr qu’il y en a au moins pour le quintuple de la subvention grâce à laquelle notre orgue pourrait échapper pendant des décennies aux outrages du temps ! Je vous le dis tout net, monsieur le maire, si cette chose est de l’art, moi, je joue de l’orgue de barbarie. Maintenant, si c’est une plaisanterie... Suis-je bête ! Bien sûr, c’est une farce ! Eh bien, monsieur le maire, je ne vous savais pas si taquin. Mais dites-moi, nous ne sommes pas le premier avril ? Euh, monsieur le maire ? Non ? Ce n’est pas une plaisanterie ?
Le maire secoua la tête.
— Et ce n’est pas de l’art non plus ?
Le maire secoua encore la tête.
Les yeux de l’organiste roulaient maintenant sur un fil invisible qui reliait le pou monstrueux au visage fermé du maire.
— Monsieur le maire... Ne me dites pas que...
— Si.
— Vous voulez dire que...
— Oui.
— Je veux sortir de cette église.
— Non.
— J’exige de sortir d’ici !
— Pas question.
— Monsieur le maire, ôtez-vous de mon passage et laissez-moi sortir ! Je vous l’ordonne !
— Et moi, Portevent, je vous ordonne de m’écouter !
— Laissez-moi sortir ! Laissez-moi sortir !
— Calmez-vous, Portevent. Malgré nos tentatives, nous n’avons pas pu déloger cet insecte. Vous n’avez donc pas à vous inquiéter puisqu’il ne bouge pas d’un poil. C’est bien le problème, d’ailleurs.
— Et l’orgue, avez-vous pensé à l’orgue ? Ce monstre va l’endommager ! Il faut appeler les pompiers !
— Monsieur Portevent, nous ne vous avons pas attendu pour étudier la question durant ces derniers jours et si vous voulez le savoir, nous avons pris toutes les mesures de sécurité. Nous avons même fait venir le professeur Alastair Bang, entomologiste de renommée mondiale...
— Laissez-moi sortir de cette église !
— ... Entomologiste de renommée mondiale, disais-je, et qui a trouvé une idée pour tenter de nous débarrasser de cette vermine.
— Eh bien rappelez-moi lorsque votre professeur Pang aura nettoyé mon orgue et laissez-moi sortir !
— Bang. Professeur Bang, monsieur Portevent.
— Pang ou Bang, peu m’importe. Laissez-moi sortir immédiatement !
— Non.
— De quel droit ?
— De mon droit et de mon devoir de premier magistrat de vous réquisitionner dans l’intérêt de la sauvegarde du patrimoine ! Le professeur Bang propose que vous montiez à la tribune pour faire ronfler votre orgue jusqu’à ce que les vibrations soient assez puissantes pour mettre cet animal en fuite. Dès qu’il sera décroché et qu’il sera par terre, nous lui réglerons son compte avec l’aide de la gendarmerie.
— Monsieur le maire, vous êtes fou. Je refuse !
— Vous ne sortirez pas d’ici avant d’avoir pris l’engagement solennel de remplir cette mission !
— Pas question !
— Voyons, monsieur Portevent, pensez à la subvention...
— Ah ! Elle est belle la subvention !
— Monsieur Portevent...
— C’est du chantage, monsieur le maire, du chantage !
— Oui.
— Eh bien je refuse !
— La subvention monsieur Portevent, la subvention...

À suivre... Prochain épisode dimanche 24 janvier 2010.

© Éditions Orage-Lagune-Express, 2009.


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