Pendant la Seconde Guerre mondiale, les espions ressemblaient peut-être moins à Bond qu’à Richard Sorge, journaliste allemand et alcoolique notoire. C’est depuis son poste de rédacteur à la revue des expatriés allemands à Tokyo qu’il opère pour le compte de Staline, préférant servir l’U.R.S.S. que son pays ravagé par la folie. Il suit ainsi ces convictions politiques. On a pas tous la chance d’avoir des parents communistes, ni servi l’Allemagne pendant la Première Guerre mondiale.
En fait d’Ursula Andress, c’est Eta Harich-Steiner, une pianiste émérite, qui tient le rôle de la femme fatale dans L’espion de Staline. C’est avec son arrivée au Japon auprès de l’ambassadeur Ott, chez qui elle est hébergée, que démarre un récit placé sous le signe du souvenir, tenue par la voix de cette femme qui s’est laissé tomber dans les bras de Sorge. Car avec Bond il partage au moins un goût prononcé pour les femmes…
Lâché par les Russes, qui ont feint de ne pas connaître celui qui leur a annoncé l’opération Barbarossa – l’attaque du Reich contre l’U.R.S.S. – et prétexté que son information était « douteuse et fourvoyante », Sorge croupit dans les geôles japonaises de 1941 jusqu’au jour de son exécution, le 7 novembre 1944. Les vrais espions ne fait pas de vieux os. Sa mémoire s’est perdue au gré des années, jusqu’à ce qu’une talentueuse auteure décide de la faire revivre en reconstituant ces quelques mois de sa vie.
Isabel Kreitz signe une envoûtante bande dessinée aux accents de film noir, un travail envoûtant sur les marges d’un conflit qu’on regarde trop à l’échelle des grandes batailles, sans forcément se pencher sur les hommes qui ont agit dans l’ombre, loin des projecteurs de la vieille Europe.
Quant à Mr. Bond, il peut repartir sereinement à la fin de chaque nouvel épisode au bras d’une superbe poupée. La terre continuera de tourner…