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Directive “retour forcé” : de la rétention des étrangers et de ses limites dans le temps (CJUE, 30 novembre 2009, Said Shamilovich Kadzoev)

Publié le 28 janvier 2010 par Combatsdh

Dans un arrêt Said Shamilovich Kadzoevdu 30 novembre 2009 (C-357/09 PPU), la Grande Chambre de la Cour de Luxembourg interprète pour la première fois la directive dite retour : directive 2008/115 du 16 décembre 2008 sur les normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants des pays tiers en séjour irrégulier. Ce faisant, elle offre une appréhension du droit de l’UE en matière d’asile et d’immigration qui influencera peut-être sur la mise en œuvre du paquet asile adopté par le Parlement européen le 7 mai 2009.

Parce que la Cour administrative de Sofia ne sait que répondre au Ministère de l’intérieur qui l’interroge sur la compatibilité de la rétention de Kadzoev avec la directive elle saisit la CJCE en urgence (article 104 ter du règlement de procédure) d’un renvoi préjudiciel (article 234 TCE actuel article 267 TFUE). L’intéressé, un présumé Russe d’origine tchéchène, est appréhendé par les autorités bulgares à la frontière avec la Turquie, puis est mis en rétention le 21 octobre 2006. Faute de pouvoir établir avec certitude son identité et sa citoyenneté, les autorités ne peuvent ni procéder à sa reconduite à la frontière, ni lui accorder le statut de réfugié. Kadzoev est donc dans un centre de placement temporaire depuis 45 mois.

Or, l‘article 15 § 5 et 6 de la directive instaure une durée maximale de rétention de 18 mois, à l’issue de laquelle le retenu doit être libéré. La directive 2008/115 est par conséquent porteuse d’avancées pour les droits des étrangers retenus dans des pays où aucune limite de durée n’existe, tels la Bulgarie. Ainsi, les articles 44 § 6 et 46a § 3 à 5 de la loi bulgare sur les étrangers ont été modifiés le 15 mai 2009 pour introduire les exigences de durée maximale de rétention imposées par la directive. Mais de telles exigences peuvent-elles s’appliquer à la situation de Kadzoev qui est née antérieurement à l’adoption du texte?

Quel est le droit applicable à l’espèce ? La loi nationale qui à l’époque de la mise en rétention de Kadzoev ne prévoit aucune limite à la durée de rétention ? La directive 2008/115 ? La CJCE répond clairement, selon le principe de la rétroactivité in mitius concernant une norme migratoire plus protectrice : la durée maximale de 18 mois s’applique « aux effets futurs d’une situation née sous l’empire de la réglementation antérieure » (point 38).

Mais quelles sont les périodes de résidence en centre de placement temporaire qui doivent être incluses dans le calcul de la durée de rétention ? Les périodes correspondant aux recours effectués doivent être comptabilisées ; les périodes de traitement de la demande d’asile, non lorsque la rétention est décidée au titre des dispositions relatives aux demandeurs d’asile (directive 2005/85 du 1er décembre 2005). Le juge de Luxembourg en profite pour rappeler qu’est interdite la rétention au seul motif de la demande d’asile, et pour conclure que Kadzoev doit être immédiatement libéré.

Car il a été retenu au pire 37 mois de trop, au mieux 19 mois de trop, au-delà de la durée maximale de 18 mois. La limite est absolue : les États ne peuvent en aucun cas prolonger la période de rétention au-delà, ne peuvent avancer aucun motif pour différer la libération du migrant, ne peuvent prétendre disposer de la moindre marge d’appréciation.

Or, il existe de surcroît une limitation relative posée à la durée de rétention : celle-ci doit cesser « lorsqu’il apparaît qu’il n’existe plus de perspective raisonnable d’éloignement pour des considérations d’ordre juridique ou autres » (article 15 § 4 de la directive retour). Qu’est-ce à dire ? La CJCE éclaire la notion de « perspective raisonnable d’éloignement » : la possibilité de reconduite à la frontière doit être « réelle » au regard de la durée maximale de rétention de 18 mois (point 65). Mais tel n’est pas le cas pour Kadzoev : Tchétchénie et Russie ne le reconnaissent pas comme un de leurs ressortissants ; l’Autriche et la Géorgie ne veulent pas l’accueillir ; la Turquie ne répond pas aux demandes.

Car la rétention est seulement justifiée par la préparation et l’exécution de la reconduite à la frontière (point 64). Bien plus, elle n’apparaît que comme un moyen parmi d’autres de gérer les migrants en situation irrégulière, le juge invitant à privilégier les « mesures suffisantes mais moins coercitives ».

A noter que la Cour européenne des droits de l’homme a adopté des positions similaires dans sa décision du 26 novembre 2009Tabesh c. Grèce. Car elle condamne la Grèce pour violation des articles 3 et 5 de la Convention, en s’intéressant à la régularité de la détention à l’aune de sa durée. Selon elle, « seul le déroulement de la procédure d’expulsion justifie la privation de liberté… et si la procédure n’est pas menée avec la diligence requise, la détention cesse d’être justifiée » (§ 56). Or donc, les juges de Strasbourg et de Luxembourg partagent une même approche : tous deux considèrent la durée maximale de rétention de manière absolue et affirment l’exigence de libération immédiate de manière logique.

arrêt Said Shamilovich Kadzoev (CJUE, 30 novembre 2009, C-357/09 PPU),

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Marie-Laure Basilien-Gainche, Maître de conférences en droit public UFR d’études européennes - Université Paris 3 Sorbonne Nouvelle,  a eu la gentillesse de nous communiquer le résumé d’un article à paraître commentant cet important arrêt de la CJCE, le premier sur la “directive retour”.

(réf.: Marie-Laure Basilien-Gainche, « De la rétention des étrangers et de ses limites dans le temps - Réflexions sur la première interprétation par la CJCE de la directive retour », à paraître dans la Revue du marché commun et de l’Union européenne dans le numéro de mars 2009)


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