Sean Carter, jeune enfant élevé seul par sa mère à Brooklyn, est devenu depuis le milieu des années 1990, un des rappeurs les plus en vue de la planète. Sa fortune est estimée par la magazine Forbes à 1,3 milliards de dollars. Rencontre vendredi dernier quelques mois après le succès de son dernier disque «The Blueprint 3».
D’où vient ce nom de «Jay-Z»?
Enfant, j’essayais de me tenir comme un grand dans la rue. Les gens du quartier disaient : «C’est le petit jazzy», qui voulait dire cool en argot. En grandissant, je me suis lassé du surnom. C’était un peu trop flamboyant, alors je l’ai transformé en Jay-Z.
Depuis vous avez été n° 1 des ventes aux Etats-Unis pour onze de vos albums, un de plus qu’Elvis Presley…
C’est quelque chose dont je suis très fier. Surtout en faisant du rap. Dans ce genre, les carrières ne sont pas si longues. On pourrait dire qu’en matière de rap, une année en vaut sept. J’ai donc déjà 105 ans de carrière derrière moi.
Multimillionnaire, marié à Beyoncé… Tout semble vous réussir. Pourquoi continuer?
Je fais de la musique de manière très égoïste. C’est d’abord pour moi parce que j’aime ça. J’ai besoin de me mettre au défi. Quand je compose, j’essaie juste de faire la meilleure musique possible, en essayant d’être fidèle à ce que je suis dans la vie.
En 2003, vous aviez pourtant annoncé votre retraite…
J’étais à bout. Je n’en pouvais plus. Je pensais vraiment ne plus faire de disques. Puis deux années plus tard, j’ai senti une douleur en moi. Il fallait que j’y retourne.
La concurrence vous motive?
Bien sûr. Le rap, c’est comme un sport de haut niveau. Pour réussir, il faut être très compétitif.
Vous déclariez il y a quelques mois que votre dernier album «The Blueprint 3» était un de ceux qui vous a donné le plus de fil à retordre…
Il m’a demandé beaucoup d’efforts. J’ai le sentiment d’avoir ouvert de nouvelles perspectives dans ma carrière et le hip-hop en général. Je suis d’ailleurs prêt à faire un nouveau disque. Je sais maintenant ce que j’ai envie de faire.
Votre ambition aujourd’hui dépasse largement le rap?
Le rap n’est qu’une musique parmi les autres. On se sert de mots, de mélodie. Je ne veux pas me limiter. J’ai grandi en écoutant tout un tas de musique. Pour moi, ce n’est pas un souci. J’ai toujours eu l’esprit ouvert. J’apprécie aussi bien Ol’ Dirty Bastard, Linkin Park que les Kings of Leon.
Mais aujourd’hui, il est plus facile de mélanger les genres?
Oui, et c’est une bonne chose. J’espère d’ailleurs avoir aidé à ouvrir les esprits.
Run this Town :
Votre musique a d’ailleurs été utilisée dans plusieurs mash-up comme le «Grey Album» de Danger Mouse?
C’était un bon disque. Pour encourager les artistes à se servir de mes chansons, je mets à disposition des versions a cappella de mes titres. Ca m’amuse beaucoup de voir le résultat. J’adore "Jaydiohead" (mash-up Jay-Z/Radiohead) par exemple.
Vous mettez toujours en avant de jeunes artistes sur vos disques?
J’écoute beaucoup de musique et je trouve que c’est une bonne chose d’aider ceux qui ont le plus de talent. Pour mon nouveau label, Roc Nation, j’essaie de repérer les meilleurs. Côté producteurs, j’ai été un des premiers à faire travailler Timbaland ou Kanye West.
Pourriez-vous produire vous-même vos disques?
Je ne pourrais pas. Ca prend déjà tellement temps de finaliser le concept et les paroles. S’il fallait en plus produire, perfectionniste comme je suis, je ne m’en sortirais pas. Jeune, je produisais un petit peu, mais je me suis arrêté très tôt. Peut-être que si j’avais continué dans cette voix…
Vous êtes connu pour ce flow souple et élégant, capable de se jouer de rythmes rapides ou lents. C’est quelque chose que vous avez beaucoup travaillé ?
Plus jeune, bien avant de sortir mon premier disque, j’étais constamment entrain d’écrire des textes et de les chanter a cappella. Je n’avais pas de musique alors je passais du temps à travailler à ce flow. Des heures et des heures, comme un maniaque jusqu’au petit matin. C’est la première chose que j’ai maitrisé. Ensuite, avec un peu plus d’expérience, j’ai eu des choses à raconter.
Votre enfance a été très formatrice…
Ce passage difficile m’a servi à avoir la motivation pour réussir. Mon enfance m’a appris la vie. Par la suite, tout s’est parfaitement emboîté. Je n’ai sorti mon premier disque qu’à 26 ans. Ca m’a laissé du temps pour mûrir. J’avais déjà mes 10 000 heures au compteur.
Vous restez d’ailleurs très attachés à vos racines, Brooklyn…
Le quartier pourrait être crédité comme auteur associé. C’est ma muse. C’est là que je suis devenu la personne que je suis aujourd’hui. Il est normal que j’essaie de lui rendre un petit peu de ce que j’ai.
Death of Auto-tune :
Vous avez toujours été intéressé par le côté business de la musique. Dès 1996, vous fondiez votre propre label…
Ce n’était pas un coup de génie. Aucun label ne voulait me signer alors on a monté notre propre maison de production (Roc-a-fella). Aujourd’hui, il faut être à la fois musicien et businessman pour s’en sortir. Très peu touchent de vrais bénéfices avec la crise du disque. Les fenêtres se réduisent. Une ou deux erreurs, et ta carrière peut se retrouver à la poubelle. Surtout, pour les jeunes artistes.
Comment gérez-vous vos relations avec les grosses maisons de disque ?
Il faut se créer son espace de liberté. La position idéale, c’est bien sûr de ne pas avoir besoin de l’argent des autres. Là, tu fais ce que tu veux. Placés dans une situation difficile, certains vont abandonner ce en quoi ils croient. Certains vont se conformer à certaines formules qui ont du succès en espérant en avoir aussi. L’art se retrouve sacrifié au final.
Dans vos chansons vous critiquez les morceaux faits pour être des sonneries de mobiles, l’auto-tune (logiciel de correction des voix)…
C’est des sujets un peu compliqués à aborder pour moi. Parce que je vais continuer à en vendre des sonneries. Mais quand je parle dans mes disques, c’est au nom de mon amour pour la musique. Si tout le monde fait la même chose, pourquoi posséder plus d’un album de rap. Autant se tourner vers des genres plus créatifs. En même temps, tout le monde veut le même succès que les autres. Mais, l’art véritable s’apprécie sur le long terme. Même si tu ne vends pas tout de suite, d’autres vont se nourrir de ce que tu as fait.
Certains prétendent qu’aujourd’hui le rap est mort…
Le genre est encore jeune. Il fait face pour la première fois à un mur. Il faut qu’on réfléchisse à quelle musique on veut faire. Kanye West, Drake sont déjà entrain d’ouvrir de nouvelles portes. On est arrivé au bout de la formule Gangsta Rap. Il faut maintenant essayer quelque chose de différent.
Vous venez de composer une chanson pour Haïti avec Bono. Comment s’est lancée cette initiative ?
Tout s’est fait il y a quelques jours. Moi, j’avais des réserves sur le projet quand le producteur Swiss Beatz et Bono me l’ont présenté. Il y a une vraie différence entre faire un spectacle pour dire qu’on aide les gens et aider vraiment les gens. J’ai dit à Bono : « Je ne veux pas faire ce genre d’opérations si on est pas sûr que l’argent sera bien utilisé sur le terrain ». J’avais déjà donné beaucoup d’argent à La Nouvelle-Orléans au moment de l’ouragan Katrina, mais je n’étais pas à l’aise avec ça. Je ne m’étais pas assez assuré que mes dons serviraient vraiment. Il m’a répondu qu’à part U2, sa vie était consacrée à ça. Il allait se renseigner. Il a fait ses recherches et trouvé une super organisation. Alors, on est allé de l’avant.
Que pouvez-vous nous en dire ?
Je ne sais pas quand la chanson va sortir, mais on doit la chanter pour la première fois ce soir (vendredi dernier à l’occasion du programme télé Hope for Haïti Now. Tout a été très vite. Je n’ai même pas encore entendu le mix final. Espérons que tout se passe bien. Il faut se rendre compte que le rap, ce n’est pas comme une chanson rock. Les textes sont beaucoup plus longs à apprendre. Pour moi, c’est difficile d’aller aussi vite.
Recueilli par KidB
Stranded (Haïti mon amour) :