En dépit d’une fréquentation croissante des expositions, l’art intimide encore une partie importante du public qui le considère comme une affaire de spécialistes, voire un plaisir de dilettante. Rien n’est moins juste que cette opinion, mais elle demeure profondément ancrée dans la société et fait mesurer les efforts qu’il reste à accomplir pour favoriser l’indispensable démocratisation des arts sous leurs formes les plus diverses. Sans doute les critiques d’art et les théoriciens n’ont-ils pas assez orienté leurs efforts dans cette voie ; on pourrait même penser qu’en adoptant trop souvent un langage d’initiés, en privilégiant quasi systématiquement des développements complexes et parfois hermétiques, ces derniers contribuent à entretenir une image inutilement intimidante de l’art.
S’agissant du regard qu’ont pu porter les philosophes sur les différentes disciplines artistiques – à commencer par les nombreuses tentatives de définition du « beau » – la question se pose de manière encore plus aiguë. Même l’amateur d’art, s’il n’est pas un spécialiste, éprouvera quelque peine à aborder la plupart des textes des philosophes. La difficulté se trouve accrue lorsque l’on découvre que beaucoup d’auteurs n’ont pas consacré d’essais spécifiques à l’art, mais que leur pensée, en la matière, est dispersée (et parfois diluée) au sein de différents ouvrages.
Nombre de philosophes, et particulièrement les tenants de l’idéal ascétique, se sont méfiés de l’art, tout autant que de la notion du Beau qui risquait, à tout instant, de faire basculer le spectateur dans une sensualité ou un plaisir qu’ils estimaient dangereux. Pour Platon, le Beau ne peut susciter qu’un plaisir désintéressé, presque désincarné : « la séduction des choses belles est justement ce qui justifie aux yeux de Platon qu’on s’en détourne ». Si l’on ajoute à cela que, pour le philosophe, l’art est condamnable en tant qu’il présente une illusion trompeuse, on comprend mieux pourquoi, dans sa cité idéale, les artistes, sauf à tendre vers un idéalisme hautement spirituel, n’étaient pas les bienvenus. Pour faire suite à la suspicion de Platon, les auteurs ont choisi de présenter la pensée d’Aristote, puis celle de Plotin qui vient clore la période antique. Sont alors abordés Diderot (l’un des premiers critiques d’art) et Burke, puis Kant, dont l’approche rigoriste pourrait se résumer ainsi : « Pour être pure beauté, il n’est pas nécessaire que le beau soit désagréable, il suffit qu’il ne soit pas agréable. […] A la beauté impure de l’art, Kant préfère les beautés libres de la nature. » Tel ne sera pas l’opinion de Hegel, et encore moins celle de Nietzsche, comme le démontre le livre, qui présente en outre les points de vue de Bergson, d’Alain, de Merleau-Ponty et de Gilles Deleuze. Une bibliographie commentée, en fin de volume, permettra au lecteur de facilement identifier les ouvrages des philosophes cités, s’il souhaite approfondir sa recherche.
Illustrations : Platon, Glyptothek, Munich - Gilles Deleuze, photo D.R.