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La langue de nos ancêtres : à la découverte du gaulois (II)

Par Amaury Piedfer

Le gaulois était une langue indo-européenne flexionnelle, comme le latin dont elle est parente, les deux langues étant issu du même sous-groupe de l’indo-européen. Donc, comme le latin, le gaulois avait des déclinaisons, c’est-à-dire que chaque mot changeait de terminaison selon sa fonction dans la phrase. Par exemple, le participe correspondant à notre « aimée », s’écrivait au nominatif singulier lubitia (cas sujet), et devenait lubitias au génitif singulier (cas possessif : « de l’aimée ») ou au nominatif pluriel.
A partir du tronc celtique commun, se sont différenciés plusieurs dialectes, sans doute très proches les uns des autres au départ : le celtibère (plateau de Castille), le lépontique (région de Golasecca en Italie du Nord), le gaulois (Gaules, Plaine du Pô), constituant ce que l’on appelle « celtique continental » ; le britonnique (qui est la source commune du celtique insulaire : gallois, breton, cornique), proche parent du gaulois ; et enfin le goidélique (source de l’irlandais, de l’écossais et du mannois).
Le celtique continental, éteint dans les premiers siècles de notre ère, ne peut être abordé que par l’étude des textes antiques, principalement des inscriptions, gravées entre 700 av. J.-C. (lépontique) et 200/300 ap. J.-C. (gaulois) ; il est bien sûr nécessaire d’avoir recours aux langues celtiques insulaires, restées en usage beaucoup plus longtemps et pour certaines, encore vivantes ; mais il est nécessaire également d’avoir recours aux autres langues indo-européennes. Elles donnent de précieux repères et orientent parfois pour la compréhension du vocabulaire des textes antiques, dont seuls une toute petite partie contiennent une traduction latine ou grecque.
Nous voudrions maintenant passer en revue quelques exemples de textes gaulois, que nous choisirons dans les principaux types d’inscriptions parvenues jusqu’à nous : marques de propriétés et inscriptions sur objets de la vie quotidienne (instrumentum), dédicaces aux divinités, inscriptions funéraires (épitaphes), pour l’essentiel.
L’une des plus célèbres dédicaces en langue gauloise provient de chez les Voconces, précisément du chef-lieu Vaison, l’antique Vasio Vocontiorum. Elle fut gravée sur un bloc de pierre d’une trentaine de centimètres de côté. Le texte, entièrement rédigé en gaulois, utilise des caractères de l’alphabet grec.
SEGOMAROS
OUILLONEOS
TOOUTIOUS
NAMAUSATIS
EIOROU BELE-
SAMI SOSIN
NEMETON
. .
Traduction : Segomaros fils de Villu, citoyen de Nîmes, a offert à Belisama cet enclos sacré.

On identifie facilement la première forme, Segomaros, un classique nom composé gaulois, dont le sens ne fait pas de doute : sego-maros « (homme) aux grandes victoires », sur un vieux thème indo-européen sen-, cf. allemand sieg (victoire) et sur maro-, lui aussi issu de l’indo-européen, cf. grec moros, latin magnus (grand), qui a des équivalents en celtique insulaire.
Le deuxième terme, sur la deuxième ligne, est le patronyme du personnage : en Gaule, on dénomme toujours un personnage par son nom personnel, suivi de celui de son père, comme on le fait en Grèce à la même époque (le système romain est différent). Ici, nous avons Villoneos, c’est-à-dire, fils de Villu.
Suivent deux termes, toutious Namausatis, qui renvoient à l’appartenance ethnique du personnage, sur le thème celtique touta, qui signifie tribu, communauté (cf. le dieu Toutatis, le dieu de la tribu), et sur l’adjectif Namausatis, de Nemausus (Nîmes).
Vient ensuite le verbe, eiorou, que l’on retrouve dans d’autres dédicaces, et qui doit signifier « a offert », cf. vieil irlandais ro-ir (il a offert).
Belesami est le nom de la déesse, Belisama, une des principales divinités du panthéon gaulois, proche de Bélénos, plus tard identifiée à Minerve. Le nom est ici au datif (terminaison en –ai / -i), cas de celui à qui l’on s’adresse.
Enfin, sosin nemeton, « cet enclos sacré », où nemeton désigne l’enclos sacré ; le terme se retrouve sans plusieurs nom de villes gauloises, comme Augustonemetum (« l’enclos sacré d’Auguste », Clermont-Ferrand) ou Nemetodurum (« le marché de l’enclos sacré », Nanterre), cf. ancien irlandais nemed (lieu sacré, privilège, privilégié).
Cette inscription est passionnante : elle relate l’initiative d’un Nîmois, ayant acquis puis consacré un enclos sacré hors de chez lui, en terre Voconce. Peut-être était-il mandaté par sa communauté pour accomplir cet acte dans sanctuaire réputé ? Le texte témoigne en tout cas de la forte unité spirituelle et culturelle qui unissait la Gaule celtique. La date de ce document n’est pas assurée, mais il faut supposer qu’il remonte au IIème siècle av. J.-C., d’après l’alphabet employé.
Attardons-nous sur un second exemple, tout aussi passionnant. Il s’agit cette fois d’une inscription gravée sur un petit objet cultuel en bronze, provenant de Couchey, en Côte-d’Or, en alphabet latin, et datant sans doute du début de l’ère impériale (fin du Ier siècle av. J.-C. ou début du Ier siècle ap. J.-C.). On peut lire :
DOIROS SEGOMARI
IEVRV ALISANV
Traduction : Doiros fils de Segomaros a offert (cet objet) au dieu d’Alisia.

Doiros est un nom de personne masculin, typiquement celtique, suivi conformément à l'usage par le nom du père, Segomari, cette fois au génitif (cas d’appartenance) : Doiros (fils de) Segomaros.
Nous retrouvons à la deuxième ligne le verbe des dédicaces, dans sa version latine ieuru, « il a offert ». Il est suivi de la mention de la divinité, mais qui n’est pas nommée : Doiros a préféré signaler qu’il offrait l’objet au dieu de la communauté, peut-être parce qu’il était jugé préférable de ne pas en révéler le nom, notamment à un ennemi, qui pourrait invoquer le dieu contre son peuple (comme l’atteste la pratique de l’euocatio chez les Romains : on invoque le dieu de l’ennemi et on l’invite à venir à Rome).
Doiros, qui appartenait au peuple d’Alise, les Mandubiens, voisins des Eduens, descendait peut-être d’un combattant d’Alésia, et fit sans doute cette offrande dans un sanctuaire domestique voué à un culte funéraire (P.-Y. Lambert) : en Gaule, on n’oublie pas ceux qui sont morts et qui se sont battus.

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Amaury Piedfer.



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