Magazine Culture

Si la documentation ne servait qu’à se documenter...

Par Georgesf



guarnieri et main2

Un ami me demande d’où je tiens « mon histoire » sur Jan Vermeer et Pieter De Hooch, mentionnée dans le précédent billet. Ils sont comme ça, suspicieux , mes amis, dès que je raconte de trop belles histoires.

Je la tiens de la biographie de Han Van Meegeren, l’admirable faussaire qui créa des Vermeer plus vrais que les vrais, racontée par Luigi Guarnieri (« La double vie de Vermeer », Actes Sud). Au chapitre VI, Guarnieri rappelle que Vermeeer n’était même pas cité dans un important lexique de l’art hollandais du XVIIe siècle Groote Scouburgh, publié à Amsterdam au début du XVIIIe. Au chapitre VIII, il rappelle que diverses œuvres de Vermeer furent présentées comme œuvres de peintres plus réputés que lui, histoire de rassurer le client : La liseuse à la fenêtre fut ainsi attribuée à Govaert Flinck, Le Soldat et la Jeune Fille souriant à Pieter De Hooch, Le verre de vin à Jacob van der Meer, La Femme à l’aiguière à Gabriel Metsu puis à Pieter De Hooch, La Femme à la balance à Gabriel Metsu, La leçon de musique à Frans van Mieris, L’Art de la peinture à Pieter De Hooch.

Tout cela pour dire que je n’invente pas. Je n’ai pas assez d’imagination.

Car le romancier raconte mieux ce qu’il n’invente pas : il invente du réel. C’est pour cela que les romanciers sérieux se documentent. Moi qui vous cause, hein, par exemple...

Si je me suis passionné pour la vie de Han Van Meegeren, c’est pour la crédibilité de dix lignes de mon roman en cours d’écriture : il me fallait connaître la technique de vieillissement des toiles à laquelle Van Meegeren recourait. De la même façon, j’ai écrit à deux ateliers de restauration pour savoir de quelle essence de bois étaient les châssis des toiles de la fin du XVIIIe siècle, et quand sont apparus les châssis à clé. Dans le même esprit, j’ai lu une douzaine de livres sur la chute de Pondichéry, la vie de Watteau, la philosophie de l’art, les « Propos sur les Beaux-Arts » d’Alain, le catalogue technique Rougier et Plé, les mémoires d’un marchand de tableaux, d’un commissaire-priseur...

Actuellement, je cherche des rapports de gendarmerie et de l’officialité des années 1770 pour connaître les termes exacts utilisés pour décrire l’arrestation d’un peintre ambulant (ils étaient, à cette époque, considérés comme vagabonds). Il faudra que j’aille consulter des archives série B (gendarmerie) et série G quand la procédure relève de l’Eglise (Officialité). Cela fera dix ou vingt autres lignes, et je serai peut-être le seul à en apprécier l’exactitude. Mais cela sonnera vrai parce que ce sera vrai.

Ce qui est extraordinaire, c’est la gentillesse avec laquelle les experts me répondent dès que je viens leur casser les pieds « Excusez-moi, je suis romancier et... ». Et les portes s’ouvrent : les experts sont prêts à aider, à chercher, à aiguiller vers d’autres experts dès qu’ils ne savent pas. Ils veulent qu’on parle de leur art avec expertise, même dans un roman. Tiens, à ce propos, il va falloir que je parle d’un commissaire-priseur corrompu, et là, je ne sais qui interviewer...

Cette recherche permanente de la documentation pourrait paraître besogneuse : il n’en est rien. Ce n’est pas de l’écriture, mais c’est pourtant un des moments les plus palpitants de l’écriture. En allant chercher les informations, on en trouve d’autres qui ouvrent d’autres portes, qui donnent de nouvelles idées : on modifie l’histoire, on l’enrichit. Plus on s’écarte, plus les trouvailles deviennent intéressantes. Le plus dur n’est pas de trouver, c’est de faire le tri.

Dans le cas de mon prochain roman policier ("La commissaire n'aime point les vers", sortie le 4 février, il serait temps que j’en parle), c’est presque pareil. Je suis bien sûr allé visiter tous les lieux où passe la commissaire , y compris le Parc de Choisy (le support de poubelle existe bel et bien, vous pourrez vérifier). Le seul lieu qui restera une fiction sera cet open space de la IIIe Division de la Police Judiciaire, avenue du Maine. On ne peut y entrer comme dans un estaminet, mais j’ai quand même tenu une conversation très intéressante avec le planton... « Excusez-moi, je suis romancier et... ».

La partie un peu moins amusante restera le Code pénal et les mémos de procédure que j’ai avalés. J’ai de la chance, je ne suis qu’auteur, pas commissaire : je n’ai pas eu à les apprendre par coeur. Mais j'ai quand même soumis le texte à un haut magistrat qui m'a donné son admitatur, tout en considérant comme répréhensible le comportement de la commissaire à la fin du roman. Je suis bien d'accord avec lui, on lui infligera un blâme.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Georgesf 63 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Dossier Paperblog

Magazines