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Nos bons voisins les lutins, Nains, elfes, lutins, gnomes, kobolds et compagnie, de Claude Lecouteux (lecture de Tristan Hordé)

Par Florence Trocmé

Lecouteux
 Dans l'enfance, les premières approches de la poésie passent souvent, non par des poèmes mais par des récits qui font travailler l'imaginaire, laissent la rêverie jouer avec des animaux doués de raison et de parole. Il n'est pas d'enfance si l'on pas connu « le cercle enchanté des contes et comptines, concrétions verbales impénétrables qui ombrent de leur mystère ces portes attendant de vous que vous tiriez la chevillette et la bobinette cherra »1. Grâce aux livres que Claude Lecouteux leur a consacrés2, on retrouve quelques-uns des moments où l'on aurait volontiers pris la place d'un personnage de ces contes, écoutés ou lus si souventqu'ils étaient connus par cœur. Personne n'ignore le rôle des sept nains (même si l'on a oublié leurs noms) auprès de Blanche-Neige, mais ces petits êtres aux noms divers appartiennent plus aux traditions germanique et nordique qu'au monde latin, même s'ils n'y sont pas ignorés. Dans Nos bons voisins les lutins, après avoir précisé ce que recouvre le mot "nain", l'auteur offre 150 récits, classés sous diverses rubriques, chacun d'une dizaine de lignes à quelques pages, où tout ce qui concerne les nains est exploré. S'y ajoutent des annexes, un index et des bibliographies.
   
Les noms donnés aux nains varient selon le pays et ils sont très nombreux dans chacun d'eux. Quand leur étymologie est accessible, on se rend compte que les désignations peuvent correspondre à l'apparence qu'on leur attribuait ou à leur rôle imaginé dans la vie quotidienne. Ainsi, en allemand, on relève par exemple Bergmännchen, "gnome", Wichtel, "petite créature", Jütel ou Gütel, "le bon", Offenmännchen, 'petit homme du poêle"; etc. En français, outre les termes plus ou moins courants comme, notamment, fadet, farfadet, follet, gnome, gobelin, lutin, nain, sotais (et variantes), on compte des termes plus rares (kobold, duse, nuton — ce dernier forme très ancienne remplacée par lutin) et une foule de formes régionales dont régulièrement diable et un nom local de la mandragore — la mandragore étant autrefois associée aux forces maléfiques. Mais, à très peu de différences près, on repère des caractéristiques physiques identiques de l'Irlande à l'Autriche, de la Lorraine à la Provence.
   
D'où viennent les nains dans la littérature ou dans les légendes populaires ? Curieusement, ils sont souvent liés aux géants ; ainsi, dans les mythologies nordiques, ils sortent du corps mis en pièces d'Ymir, le géant primordial. Mais ils sont aussi considérés comme des anges déchus qui, sans prendre le parti de Lucifer, auraient voulu rester neutres ; on les dit également enfants d'Éve. Quoi qu'il en soit, leur statut est ambigu : ils sont perçus selon les cas comme très dangereux, liés au "Malin", ou au contraire serviables et bons. À côté de nains qui transforment un logis en enfer par leurs dégâts, au point qu'ils parviennent à en chasser les habitants, d'autres agissent pour soulager la misère des humains ou rectifier une erreur de la nature. Ainsi, dans plusieurs récits, les nains récompensent un bossu qui a accepté ce qu'ils étaient en le débarrassant de sa bosse ; un autre nain livre à un paysan « une charrue de fer, aussi grande que les autres mais si légère qu'un chien ou un enfant pouvait la tirer sans peine et labourer avec elle la terre la plus grasse » — ce qui permet au paysan de devenir riche.
Les nains sont en effet liés à la richesse. Habiles forgerons (comme les géants), ils fabriquent des objets magiques, comme cette charrue, et ils possèdent des connaissances qui leur permettent d'agir sur la nature. Ainsi, une femme égarée dans la forêt surprend par hasard le roi des nains de la région : il la laisse s'endormir mais au petit matin, de retour dans son village, elle s'aperçoit que tout a changé et, après enquête, « il fut clairement prouvé qu'elle avait dormi cent ans dans le rocher sans avoir vieilli de tout ce temps » ; on reconnaît dans ce récit un thème ancien exploité dans quelques contes littéraires (de Perrault à Ludwig Tieck). Les nains sont aussi mineurs (comme dans Blanche-Neige) et accumulent de l'or et des pierres précieuses convoités par les humains ; ils résident d'ailleurs sous les pierres ou dans des montagnes creuses et quand ils conduisent un humain dans leur monde, il faut d'abord suivre un chemin « d'abord souterrain et obscur qui [mène] dans un pays très beau, riche en rivières, en prés, en forêts et en plaines, sombre cependant car il n'[est] pas éclairé directement par la lumière du soleil ».
   
Forgerons, possesseurs de trésors, doués de pouvoirs magiques, vivant dans un monde parallèle, les nains se distinguent toujours par leur habit, tous « portant paletot et bonnet rouge ». Fréquents dans les contes et légendes, ils sont relativement rares dans la littérature et dans la poésie. Claude Lecouteux cite seulement un poème de Leconte de Lisle). Cette absence tient sans doute au fait, comme l'écrivait Théophile de Viau (Traité de l’immortalité de l’âme, ou La mort de Socrate, 1626), que
   
Les objets d’étrange mesure Sont rares parmi les humains.
Il se trouve, dans la nature,
Peu de géants et peu de nains.
   
   
Nos bons voisins les lutins, Nains, elfes, lutins, gnomes, kobolds et compagnie, textes réunis, présentés et annotés par Claude Lecouteux, José Corti, 2010.


Contribution de Tristan Hordé


1Christophe Pradeau, La Grande Sauvagerie, Verdier, 2010, p. 13.
2Claude Lecouteux a réuni et commenté des récits sur les fées et les sorcières, les loups-garous, les fantômes, les vampires, etc.; on en trouvera une bibliographie dans Nos amis les lutins.


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