Les noms donnés aux nains
varient selon le pays et ils sont très nombreux dans chacun d'eux. Quand leur
étymologie est accessible, on se rend compte que les désignations peuvent correspondre
à l'apparence qu'on leur attribuait ou à leur rôle imaginé dans la vie
quotidienne. Ainsi, en allemand, on relève par exemple Bergmännchen, "gnome", Wichtel, "petite créature", Jütel ou Gütel, "le
bon", Offenmännchen, 'petit
homme du poêle"; etc. En français, outre les termes plus ou moins courants
comme, notamment, fadet, farfadet,
follet, gnome, gobelin, lutin, nain, sotais (et variantes), on compte des
termes plus rares (kobold, duse, nuton
— ce dernier forme très ancienne remplacée par lutin) et une foule de formes régionales dont régulièrement diable et un nom local de la mandragore
— la mandragore étant autrefois associée aux forces maléfiques. Mais, à très
peu de différences près, on repère des caractéristiques physiques identiques de
l'Irlande à l'Autriche, de la Lorraine à la Provence.
D'où viennent les nains dans
la littérature ou dans les légendes populaires ? Curieusement, ils sont souvent
liés aux géants ; ainsi, dans les mythologies nordiques, ils sortent du corps
mis en pièces d'Ymir, le géant primordial. Mais ils sont aussi considérés comme
des anges déchus qui, sans prendre le parti de Lucifer, auraient voulu rester
neutres ; on les dit également enfants d'Éve. Quoi qu'il en soit, leur statut
est ambigu : ils sont perçus selon les cas comme très dangereux, liés au
"Malin", ou au contraire serviables et bons. À côté de nains qui
transforment un logis en enfer par leurs dégâts, au point qu'ils parviennent à
en chasser les habitants, d'autres agissent pour soulager la misère des humains
ou rectifier une erreur de la nature. Ainsi, dans plusieurs récits, les nains
récompensent un bossu qui a accepté ce qu'ils étaient en le débarrassant de sa
bosse ; un autre nain livre à un paysan «
une charrue de fer, aussi grande que les autres mais si légère qu'un chien ou
un enfant pouvait la tirer sans peine et labourer avec elle la terre la plus
grasse » — ce qui permet au paysan
de devenir riche.
Les nains sont en effet liés à
la richesse. Habiles forgerons (comme les géants), ils fabriquent des objets
magiques, comme cette charrue, et ils possèdent des connaissances qui leur
permettent d'agir sur la nature. Ainsi, une femme égarée dans la forêt surprend
par hasard le roi des nains de la région : il la laisse s'endormir mais au
petit matin, de retour dans son village, elle s'aperçoit que tout a changé et,
après enquête, « il fut clairement prouvé
qu'elle avait dormi cent ans dans le rocher sans avoir vieilli de tout ce temps
» ; on reconnaît dans ce récit un thème ancien exploité dans quelques contes
littéraires (de Perrault à Ludwig Tieck). Les nains sont aussi mineurs (comme dans
Blanche-Neige) et accumulent de l'or
et des pierres précieuses convoités par les humains ; ils résident d'ailleurs
sous les pierres ou dans des montagnes creuses et quand ils conduisent un humain
dans leur monde, il faut d'abord suivre un chemin « d'abord souterrain et obscur qui [mène] dans un pays très beau, riche en rivières, en prés, en forêts et en
plaines, sombre cependant car il n'[est]
pas éclairé directement par la lumière du soleil ».
Forgerons, possesseurs de
trésors, doués de pouvoirs magiques, vivant dans un monde parallèle, les nains
se distinguent toujours par leur habit, tous « portant paletot et bonnet rouge ». Fréquents dans les contes et
légendes, ils sont relativement rares dans la littérature et dans la poésie. Claude
Lecouteux cite seulement un poème de Leconte de Lisle). Cette absence tient
sans doute au fait, comme l'écrivait Théophile de Viau (Traité
de l’immortalité de l’âme, ou La mort de Socrate, 1626),
que
Les objets d’étrange mesure Sont rares parmi les humains.
Il se trouve, dans la nature,
Peu de géants et peu de nains.
Nos bons voisins les lutins, Nains,
elfes, lutins, gnomes, kobolds et compagnie, textes réunis, présentés et
annotés par Claude Lecouteux, José Corti, 2010.
Contribution de Tristan Hordé
1Christophe Pradeau, La
Grande Sauvagerie, Verdier, 2010, p. 13.
2Claude Lecouteux a réuni et commenté des récits sur les
fées et les sorcières, les loups-garous, les fantômes, les vampires, etc.; on
en trouvera une bibliographie dans Nos
amis les lutins.