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Elise Rebut : Une discipline scientifique à elle seule ne peut pas appréhender dans sa complexité la thématique climatique.

Publié le 03 février 2010 par Tulipe2009
Elise Rebut : Une discipline scientifique à elle seule ne peut pas appréhender dans sa complexité la thématique climatique.
Sortie d’un nouveau livre :
APRES LE PETROLE, LA NOUVELLE ECONOMIE ECOLOGIQUE
Les alternatives végétales au pétrole de Ludovic François et Elise Rebut. 208 pages.

Compte tenu de l’actualité des thèmes qu’ils évoquent, nous avons interviewé Elise Rebut à l’occasion de la sortie d’un ouvrage co-signé avec Ludovic François sur l’après pétrole. Élise Rebut, ingénieur agronome et diplômée du mastère HEC développement durable, travaille aujourd’hui sur des problématiques de valorisation des végétaux dans une grande entreprise de cosmétique. Le livre est paru en 2010 aux Editions Ellipses. Un site Internet consacré au livre fournit de nombreux liens utiles sur la nouvelle économie écologique. Elise Rebut a également publié chez l’Harmattan un ouvrage sur « les entreprises face à la gouvernance de la biodiversité » en 2007.
Le sujet de climat est brûlant. « Glaciergate, pachaurigate, cyclonegate. La pression monte autour des experts du climat » titrait Le Monde du 29 janvier dernier (1). Des polémiques émergent autour du changement climatique. Est-on aujourd’hui en mesure de le comprendre dans sa complexité ?

Le changement climatique est un phénomène inédit, et ce tout d'abord en raison de son ampleur. Ses conséquences s’annoncent telles (augmentation du niveau moyen de la mer, multiplication des phénomènes climatiques extrêmes, mais aussi désorganisation des productions agricoles, migration de "réfugiés climatiques", etc.) qu’elles pourraient remettre en question la relative stabilité internationale, comme en atteste l'attribution en 2007 du prix Nobel de la Paix à Al Gore et au GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat).
Mais parallèlement à cela, le changement climatique est surtout un phénomène inédit en raison de la complexité des mécanismes qu’il met en jeu. Les interactions entre atmosphère, bio-, cryo, hydro- et lithosphère sont infinies et sollicitent des analyses dans des domaines aussi divers que la chimie organique, la climatologie ou encore l’astrophysique. La thématique climatique fait dans ces conditions l’objet d’une myriade de recherches, pointues et spécialisées. La contrepartie de cette spécialisation se traduit dans la constatation qu’une discipline scientifique à elle seule, pas plus qu’un individu à lui seul, ne peut appréhender le sujet dans sa complexité (2).
A cela s’ajoute qu’un nombre non négligeable de processus impliqués dans le changement climatique sont dits « à effet de seuil », ce qui signifie qu’au-delà d’un certain niveau (ou seuil) de perturbation, les conséquences ne sont plus proportionnelles à la perturbation et deviennent imprévisibles. Les conséquences du changement climatique sont donc délicates à modéliser avec précision. Nous sommes donc confrontés à une situation où les connaissances scientifiques ne permettent pas de maîtriser l’intégralité des mécanismes en jeu dans leur complexité.

Cependant, comme la Convention sur le Climat le mentionne clairement, face au « risque de perturbations graves ou irréversibles » dues au changement climatique, ces « incertitudes scientifiques » ne doivent en aucun cas « servir de prétexte pour différer l’adoption de mesures
Question : Le changement climatique est connu depuis la fin du XIXème siècle avec les travaux de Svante Arrhenius, mais sa montée en puissance médiatique s’est accélérée depuis les années 90. Quel a été le rôle des ONG dans ce processus ?
Elise Rebut : Les ONG jouent un rôle clé tout d’abord parce qu’elles rendent compréhensibles les éléments relatifs au changement climatique. Ces derniers sont, on l’a vu, complexes. Suite au développement disciplinaire des savoirs et donc à leur spécialisation, ces derniers sont devenus de moins en moins accessibles et donc, d’après Edgar Morin, de moins en moins « démocratisables ». Au-delà de convictions personnelles, personne ne pourrait en effet aujourd’hui prétendre maîtriser l’intégralité des données et raisonnements nécessaires à la compréhension totale du changement climatique.
L’affaire du Climategate est à ce titre révélatrice. Elle renvoie à la publication pirate de courriers électroniques échangés par des chercheurs du département des recherches climatiques de l’Université britannique d’East Anglia. D’après ces courriers, des données ayant servi au rapport du GIEC de 2007 auraient été volontairement modifiées afin de masquer une baisse inexpliquée des températures : cette « anomalie » aurait pu faire douter l’opinion de l’origine anthropique du phénomène.
L’accusation, qu’elle soit fondée ou non, illustre la distance qui s’est installée entre experts et société civile. L’expertise, dans la mesure où elle est de moins en moins compréhensible et donc de moins en moins accessible au citoyen, en vient à susciter la méfiance. Et inversement, les experts se mettent à douter de la capacité de jugement des citoyens. Ils peuvent dans ces conditions être amenés à simplifier leur message et à ne pas faire par de toutes les potentielles incertitudes plutôt que d’avouer que les modélisations actuelles ne permettent pas de tout expliquer.
En ce qui concerne les ONG, en plus de contribuer à la compréhension des enjeux climatiques, elles jouent également un rôle clé en participant à la diffusion des informations et à la création de nouvelles arènes d’échange. Elles font sortir les débats de la sphère scientifique et les élargissent à des thèmes connexes : énergies renouvelables, nucléaire, épuisement des hydrocarbures, relations Nord-Sud, politique de développement, société de consommation, etc. D’une part chacun se sent dès lors concerné et d’autre part les décisions politiques relatives au climat sont par conséquent prises en tenant compte à la fois de ces nouveaux participants aux débats et de ces nouveaux enjeux.

Q? : Les ONG ont un rôle clé dans la mobilisation autour du changement climatique. Comment procèdent-elles ?

ER : La première étape est de susciter une prise de conscience forte. Une des stratégies des ONG pour cela consiste à mettre clairement en évidence les liens de cause à effet existant entre un comportement (habitude de vie, mode de production, etc.) et son impact en matière d’émission de gaz à effet. Greenpeace propose par exemple à ce sujet un guide intitulé « Sauvons le climat » (3). En montrant qu’il est possible d’agir même à un niveau individuel, les ONG amènent à s’approprier et à s’impliquer sur cette thématique. Les flash mobs de décembre dernier s’inscrivent dans cette logique : l’Ultimatum Climatique a fixé des rendez-vous invitant les citoyens à venir « faire du bruit » à l’aide de téléphones, de casseroles etc. pour « réveiller l’opinion ». Les mobilisations organisées autour du Sommet de Copenhague sont également éloquentes. Les militants danois, Climate Justice Action et Climate Justice Now ont ainsi organisé le 12 décembre dernier la plus grande manifestation sur le climat jusqu’alors organisée (50 000 personnes).
Les entreprises se positionnent elles aussi progressivement sur le sujet. Au-delà d’une stratégie de gestion des risques (anticipation des évolutions des réglementations environnementales, augmentation prévisible du prix de la tonne de carbone émise, etc.), la prise en compte du changement climatique dans les stratégies d’entreprise correspond à une recherche de compétitivité par différenciation, d’innovation ou encore de gestion du capital de réputation. Et les entreprises l’ont bien compris ! A tel point que la communication sur d’éventuels engagements verts deviennent parfois excessive par rapport à leur mise en pratique ! L’Observatoire Indépendant de la Publicité recense par exemple les dérives en termes de greenwashing (4) (véhicules 4x4 prétendument écologiques, etc.). Les faux pas environnementaux des stars sont désormais eux-aussi surveillés, et ce par des paparazzi d’un nouveau type, les « éccorazzi » (5).

Q? : Parallèlement à cette mobilisation, les mesures prises peuvent sembler timorées. Ne faudrait-il finalement pas imposer des mesures plus drastiques ?

ER :Hans Jonas (6) formule à ce sujet l’hypothèse d’un « despotisme bienveillant » qui, dirigé par une élite informée, aurait les moyens d’imposer les mesures environnementales nécessaires malgré leur potentielle impopularité (Il est important de souligner que Hans Jonas formule cette hypothèse uniquement en tant que considération théorique, voire d’alerte, mais en aucun cas en tant que recommandation) (7). Mais, le changement climatique se traduisant en termes éminemment politiques, son traitement ne peut, pour être légitime, qu’être envisagé que dans des structures démocratiques (cf. Hannah Arrendt).
La priorité doit donc sans ambiguïté être donnée à l’information des citoyens afin qu’ils soient en mesure d’exercer pleinement leur capacité de jugement et d’arbitrer les arguments scientifiques avec leur acceptabilité aussi bien environnementale, éthique (est-il ou non acceptable que les générations suivantes subissent les conséquences de nos émissions de gaz à effet de serre ?), sociale (qui doit prioritairement prendre en charge les efforts voire renoncements nécessaires pour réduire les émissions ?), qu’économiques (est-il économiquement pertinent de prendre des mesures visant à la réduction des émissions de gaz à effet de serre dès maintenant ou alors vaudrait-il mieux prévoir préférentiellement des mesures d’adaptation aux conséquences du changement climatique ?).
Notes de référence :
1 : Stéphane Foucart et Hervé Kempf, p.4
2 : Le GIEC, qui a pour mission de compiler les données issues des recherches en climatologie, rassemble par conséquent un panel pluridisciplinaire d’experts.
3 : http://greenpeace.org/raw/content/canada/fr/documents-et-liens/documents/comment-sauver-le-climat.pdf
4 : http://observatoiredelapublicite.fr/
5 : http://ecorazzi.com/
6 : Hans Jonas sur Wikipedia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Hans_Jonas
7 : Voir à ce sujet l'ouvrage de Virginie Schoefs, "Hans Jonas : écologie et démocratie", L'Harmattan, 2009
Pour aller plus loin :
Un site Internet est dédié à cet ouvrage.
http://apres-le-petrole.jimdo.com/

Relire l’interview de Ludovic François sur Copenhague

http://ong-entreprise.blogspot.com/2009/12/pour-ludovic-francois-specialiste-des.html

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