Pour ceux qui l'ignoreraient encore, la France célèbre cette année le bicentenaire de la naissance de Frédéric Chopin. Si le compositeur est né en Pologne (à Zelazowa Wola), il est mort à Paris où, comme chacun le sait, il vécut la plus grande partie de sa vie. Les manifestations organisées autour de Chopin ne sont donc pas étonnantes. Nombre de malentendus persistent assurément, tant sur l'homme que sur son oeuvre, mais il n'y a pas lieu de s'en émouvoir, naturellement : après tout, c'est le lot de la plupart des personnages illustres. Bien peu contestent en tout cas que Chopin soit, avec Bach et Mozart, un des plus grands compositeurs, entendez : un des plus grands novateurs dont l'influence s'exerce encore aujourd'hui, y compris dans un genre subalterne comme la variété : il n'y a pas si longtemps, Gainsbourg n'hésitait pas à s'emparer purement et simplement de certaines de ses oeuvres (l'Etude n° 3, Opus 10 ou le Prélude n° 4 en mineur, par exemple) pour composer des chansonnettes telles que Lemon incest ou Jane B. Beaucoup s'accordent par ailleurs pour signaler que sans Chopin, il n'y aurait peut-être eu ni Rachmaninov, ni Debussy ou Ravel. C'est osé, mais il n'est pas déraisonnable de penser que leurs oeuvres s'en seraient sans doute trouvées différentes. Il n'est que d'écouter attentivement les pièces que chacun d'eux a écrites pour le piano pour y reconnaître ici et là un accord qui lui fut emprunté sciemment ou non. On notera enfin que le succès de Chopin - et ce n'est pas le cas de tous les compositeurs dits "classiques" - ne s'est jamais démenti. Mais le plus extraordinaire, pourtant, reste que l'ensemble de son oeuvre touche tout le monde, qu'il s'agisse du grand public ou des mélomanes les plus exigeants.
Alors, quels enregistrements choisir parmi tous ceux aujourd'hui disponibles ? Ils sont certes innombrables. Or il faut bien reconnaître que le meilleur y côtoie le pire. Un peu comme dans le domaine de la littérature. On n'hésitera pas en conséquence à privilégier les bon vieux classiques : avec eux, on est toujours sûr de ne pas perdre son temps. Rubinstein, Lipati, Cortot, pour ne citer qu'eux, comptent parmi les interprètes qui nous semblent avoir su au mieux rendre l'univers de Chopin en respectant ce subtil équilibre entre romantisme et aristocratisme, entre épanchement et discrétion. Parmi les pianistes ultérieurs, on se tournera vers Martha Argerich (ses Préludes), Maurizio Pollini (ses Polonaises) Krystian Zimerman (ses Ballades) ou Jean-Marc Luisada (ses Valses et surtout ses Mazurkas) : l'écoute de ces divers enregistrements est un constant enchantement.
Nous aimerions bien, au fait, qu'un éditeur profite de cette année commémorative pour rééditer l'ouvrage qu'Alfred Cortot consacra à Frédéric Chopin (paru initialement chez Albin Michel, en 1949, sous le titre Aspects de Chopin). Ce ouvrage constitue en effet une des plus intelligentes introductions à la connaissance de la personnalité du compositeur en même temps que de son oeuvre, l'un et l'autre étant replacés dans leur contexte historique. Nous conseillerons pour finir les Notes sur Chopin, d'André Gide (disponibles en Pléiade).