Flaubert reprochait à ses amis – notamment à Maxime Du Camp – de céder à la modernité en utilisant des plumes d’acier pour écrire. Lui ne jurait que par les plumes d’oie, dont il conservait une réserve dans son cabinet de Croisset, près de Rouen, et qu’il taillait avec soin. Bien que les instruments d’écriture eussent considérablement évolué au XXe siècle (stylo-plume, pointe à billes, etc.), jusqu’en 1968, les écoliers, dont je fis partie, devaient encore écrire à la célèbre plume Sergent-major. Dans les tables de bois des salles de classe, était inclus un strict encrier de faïence blanche que l’instituteur remplissait régulièrement à l’aide d’une bouteille de liquide violet. Comme me le confia plus tard un ami prêtre sur le ton de la plaisanterie, seuls les écoliers et les bonnes sœurs pouvaient se servir d’une telle couleur !
Si la palette classique des encres s’étendait du noir au bleu nuit, quelques écrivains se permettaient toutefois des fantaisies chromatiques assez surprenantes. Sur ce chapitre, Jules Barbey d’Aurevilly l’emportait de plusieurs longueurs, ses lettres et manuscrits étant souvent composés d’une étrange mosaïque de rouge, de noir et de bleu, voire de vert. J’ai sous les yeux quelques exemples plus proches de nous : André Breton écrivait parfois au stylobille vert, Philippe Soupault au feutre violet, quant à Roger Peyrefitte, il usait et abusait d’un original peacock blue – bleu des mers du sud – des plus curieux.
Complément nécessaire de la plume d’oie, Sergent-major ou du stylo à réservoir qui participe encore aujourd’hui au plaisir d’écrire, l’encrier s’est depuis toujours décliné sous les formes les plus diverses qui en font un objet d’art décoratif à part entière. Chacun pourra le découvrir à l’occasion de l’exceptionnelle vente aux enchères qui aura lieu lundi prochain 8 février à l’Hôtel des ventes de Vendôme (Loir-et-Cher) où le sympathique, médiatique et très cultivé commissaire-priseur Philippe Rouillac dispersera une étonnante réunion de 333 encriers des XVIIIe, XIXe et XXe siècles appartenant à François Podevin-Bauduin, auteur d’un ouvrage, Encriers et écritoires – outils et objets d’art (Editions Pierron, 182 pages, 40€).
En bronze, en étain, en argent, en laiton, en régule, mais aussi en faïence de toutes les provinces de France (Nancy, portant les signatures de Gallé ou Majorelle, Lunéville, Sarreguemines, Nevers, Gien, La Rochelle, Limoges, Quimper, Montpellier, Rouen, Lille, Paris, Sèvres), en grès, en cristal, voire en bois, ces encriers surprennent par la diversité de leur esthétique. Par leur complexité aussi, comme ceux à système et d’autres, conçus pour le voyage. Objets de prestige, simplement utilitaires, voire supports publicitaires, ils témoignent de leurs époques respectives et du savoir-faire de leurs créateurs.
Parfois assez chargés, comme cet étonnant écritoire rocaille en faïence représentant un lion sur des remparts (lot n° 84), sobres et littéraires, comme celui, en marbre griotte de Campan rouge surmonté d’un buste de Molière, signé Barbedienne (lot n°34), ou insolites, comme celui, en Sarreguemines (lot n° 104), reprenant à des fins publicitaires les produits de cette faïencerie (appareil de chauffage, carrelage et… toilettes servant d’encrier !), ces objets permettront aux collectionneurs de trouver leur bonheur en suivant cette dispersion. A titre personnel, ma préférence va au lot 237, un encrier en fonte de fer à patine de bronze vert dans le style Art nouveau décoré d’une femme allongée sur un espace floral, objet publicitaire de la Samaritaine. En effet, la pose de cette femme allongée s’inspire très fortement de deux sculptures de Clésinger, la Femme piquée par un serpent de 1847 et la Bacchante de 1848, deux œuvres dont la hardiesse érotique marqua la statuaire du XIXe siècle et qui constituent le sujet de mes recherches depuis de nombreuses années.
Philippe Rouillac présente cette vente lors d’une courte vidéo que l’on peut consulter ici ; par ailleurs, on peut accéder au catalogue en ligne en suivant ce lien ou visiter cet intéressant site, que le commissaire-priseur a spécialement dédié aux encriers.
Amateurs et curieux pourront enfin visiter l’exposition des lots, prévue samedi 6, dimanche 7 après-midi et lundi matin 8 février, et assister à une conférence (dimanche, à 15 h) de François Podevin-Bauduin sur le thème : « Ecriture, encriers ».
Illustrations : Lot n°84 - lot n° 34 - lot n° 104 - lot n° 237 © Etude Rouillac.