Magazine Culture
1993; année musicale parfaite s'il en est, étant données le nombre de sorties sublimes qui ont eu alors lieu. Entre autres: Four-calendar Café, Black Tie White Noise, Coverdale-Page (éponyme, bien évidemment; mais quel disque!!!)... Pourtant, le grand fantasme sonore viendra de Cincinnati, alors que The Afghan Whigs sort ce qui peut être considéré comme son troisième album, Gentlemen; le chef-d'oeuvre du groupe, fabuleux diptyque complété peu de temps après par l'aérien et noir Black Love (pas vraiment jovial, comme son titre l'indique, donc...).
Forte de son expérience assez éphémère dans l'écurie Sub-Pop, la bande de Greg Dulli se décide à renforcer ces guitares déjà incisives et affutées entendues dans le précédent Congregation, prémice d'un chaos annoncé. Comme si le groupe avait décidé de rendre encore plus corrosives des sonorités déjà fracassantes, âpres, douloureuses. Tout ici, des batteries aux basses, mais surtout cette voix souvent proche de la fausseté (sans pour autant déranger le moins du monde), déraille, quitte les sentiers battus du rock, prend des chemins de traverses défoncés et boueux. Alors l'auditeur tombe, s'écorche, se relève et se remet à courir, titube, mais avance encore et toujours, dents et poings serrés. La douleur de ce disque est palpable, sourde, violente; la limite entre dépression et révolte n'existe plus. De ces guitares tranchantes et aiguës, de ces cordes vocales usées par l'alcool et les drogues douces-amères, l'ambiance devient pourpre et lumineuse, éreintante et dramatique, romantique et furieusement palpitante (autant que le coeur puisse tenir), dont la chanson "Debonair" reste à jamais le point culminant, le sommet jamais atteint depuis, mais toujours envié.
Gentlemen, disque de la rupture et de la rébellion musicale; OVNI musical inégalable, dans lequel chaque détail est ciselé jusqu'à la blessure. L'inévitable rayon noir du rock US...
The Afghan Whigs - Debonair
The Afghan Whigs - Fountain And Fairfax
The Afghan Whigs - When We Two Parted