Le moins que l’on puisse dire de la campagne pour les élections régionales de mars prochain est qu’elle ne passionne pas les foules. Jusqu’ici en tout cas, il a surtout été question dans les médias nationaux – et régionaux aussi d’ailleurs – de bourdes, de bisbilles ou de pseudo-affaires. A peine le choc des titans entre Georges Frêche et Martine Aubry était-il terminé qu’Olivier Besancenot a cru bon de se faire remarquer en mettant en avant une candidate du NPA portant le voile, espérant sans doute surfer à peu de frais sur le « débat » sur l’identité nationale et la burqa. Au moins ces épisodes destinés à amuser une galerie passablement indifférente permettent-ils de faire oublier, un temps, les déchirements qui traversent désormais quotidiennement l’UMP, la « grande force unitaire » de la droite, qui totalise, et encore avec beaucoup de peine, autour de 30% des intentions de vote.
Comment pourrait-il en être autrement d’ailleurs ?
Alors que le suspens quant aux résultats de ces élections est quasi nul : le PS dominera-t-il un peu plus ou un peu moins les assemblées et les exécutifs régionaux ? Devra-t-il laisser une présidence aux écologistes ? Conquerra-t-il la Corse et l’Alsace ? Perdra-t-il le Languedoc-Roussillon ? Autant de questions fondamentales, on en convient… Le caractère de scrutin de mi-mandat et de vote sanction pour la majorité est mécaniquement atténué par la domination sans partage du PS au niveau régional depuis 2004.
Alors que les acteurs principaux de cette bataille sont souvent peu ou pas connus. En dehors de Ségolène Royal et de George Frêche peut-être, les présidents de régions ne sont pas des personnalités facilement identifiables pour leurs concitoyens. Et ce ne sont pas les ministres envoyés au front par l’UMP qui risquent de leur faire de l’ombre ! Surtout compte tenu de la qualité toute relative de leurs prestations en campagne – il y en a même dont on sent bien qu’ils auraient préféré ne pas en être.
Alors, plus sérieusement, que les préoccupations des Français sont tournées vers des questions, économiques et sociales notamment, qui sont avant tout du ressort du gouvernement même si les régions peuvent jouer un rôle ponctuel en la matière. Il est donc bien difficile pour les socialistes de faire campagne, par exemple, sur l’idée que les régions sont un « bouclier » contre la politique du gouvernement.
L’intérêt de ces élections régionales, à mi-mandat du quinquennat sarkozien donc, est ailleurs : non tant dans la faiblesse de la majorité et le constat patent de l’échec du président de la République que dans les incertitudes et les difficultés dans lesquelles continue d’évoluer – et continuera de le faire après les élections même largement victorieuses – le PS. L’embellie sondagière due autant aux difficultés du pouvoir actuel qu’à la mobilisation vitale des socialistes dès qu’il s’agit de leur pré carré local ne doit pas faire illusion. Au-delà d’un printemps qui s’annonce rassurant, rien n’est encore fait pour le PS précisément parce que rien n’a vraiment été fait depuis 2004 lorsque cette même illusion électorale locale avait fonctionné à plein, avec les conséquences que l’on sait.
Avec plus de 25% d’intentions de vote, le PS revient simplement à un niveau « normal » de premier tour que ce soit face à la droite ou au regard de ses partenaires à gauche, écologistes en particulier. On remarquera simplement, au passage, que les commentateurs pressés ou peu attentifs qui avaient pris la poussée verte des européennes de juin 2009 pour un bouleversement tellurique de la politique française en sont pour leurs frais. Ils ont oublié qu’une élection européenne est toujours atypique, surtout quand un taux de participation historiquement faible la rend encore moins significative que les précédentes.
Bref, ce qui est vanté et vendu ici et là depuis quelques semaines comme une (bonne) nouvelle pour le PS, n’est en fait qu’une simple confirmation. Celle du statut de premier parti local de France, pour le meilleur et pour le pire. Le meilleur, c’est le formidable réseau d’élus locaux socialistes qui constitue désormais le gros du parti si ce n’est sa totalité, et qui lui assure une présence de tous les jours auprès des Français et une connaissance intime de la société comme rarement dans son histoire. Le pire, c’est l’effet d’auto-éviction vis-à-vis de toute ambition nationale, un effet conforté un peu plus à chaque victoire aux élections locales depuis presque dix ans maintenant.
Cet effet, délétère, joue à plusieurs niveaux. En renforçant, par exemple, la conviction de ceux qui n’ont rien à gagner dans un combat et, a fortiori, une victoire nationale. La légitime soif de maroquins ministériels de quelques barons locaux ne suffit pas, à l’évidence, à orienter le parti vers la reconquête du pouvoir d’Etat. Il joue aussi en limitant drastiquement le nombre et la qualité de ceux qui ont intérêt à cette mobilisation nationale en vue de 2012. La tâche échoit donc à la direction nationale du parti – dont les membres ne sont pas toujours recrutés parmi les champions du suffrage universel – et aux rares parlementaires qui ne se satisfont pas ou plus d’un ancrage local. Si bien que le PS est pris dans le paradoxe lampédusien puisqu’il se mobilise pour tout changer afin que, finalement, rien ne change.
La posture hypercritique adoptée par les socialistes à l’encontre du pouvoir actuel : être contre tout ce qui vient du gouvernement et de la majorité – bien aidés en cela par un président de la République avide de clivages en tous genres – sort elle aussi renforcée à chaque victoire locale. Elle apparaîtra une nouvelle fois, à l’issue des régionales, comme la bonne stratégie puisqu’elle est gagnante à tout coup ! Elle n’est pas pour autant porteuse d’un projet politique et d’une possibilité d’alternative à proposer aux Français afin qu’ils viennent voter le jour de la présidentielle pour le candidat issu du PS et non simplement contre l’autre. Cela peut, éventuellement, ne pas faire de différence le soir de l’élection mais cela en fait assurément une lorsqu’il s’agit de gouverner le pays pendant cinq ou dix ans.
Toute la difficulté des socialistes est là : proposer un projet mobilisateur et durable au pays qui ne soit pas un simple « non » à Sarkozy, alors même que le PS comme force politique – ses élus, leurs affidés et les quelques militants qui restent encore au parti – est dans une des situations les plus confortables de son histoire au niveau local. On est au cœur du sujet, à la fois bien au-delà des querelles qui divisent régulièrement les socialistes sur le leadership ou les alliances, et bien en deça puisqu’il faut aux présidentiables du PS, tous ensemble, d’abord trouver comment trancher le nœud gordien qui retient si solidement ce parti au niveau local pour pouvoir un jour réaliser leur ambition.
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