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Soyons John Malkovich !

Par Meta

Soyons John Malkovich ! Dans la peau de John Malkovich (Being John Malkovich, en anglais), présente une remarquable réflexion sur la symbolique des marionnettes. La marionnette n'est pas seulement l'objet qu'un metteur en scène contrôle et s'approprie, il ne s'agit pas d'un rapport de domination. La manipulation dont fait preuve le marionnettiste dans le film est celle d'un artiste qui se sert de la contingence des circonstances pour orienter le mouvement de ses personnages, de sorte que certes la marionnette bouge sous l'effet de l'action de l'homme, mais elle ne saurait marcher seulement par la seule détermination de sa volonté. Trop imposer au pantin, et celui-ci ne bouge plus avec souplesse. Trop déterminer et maîtriser les gestes de la marionnette et celle-ci se met à se mouvoir sans grâce. Le marionnettiste doit donner l'impulsion au corps mécanique par les fils qu'il tire, car sans les fils le pinocchio n'est qu'un amas de matière sans vie, mais s'il les retient trop, le pantin paraît tout aussi inhumain par l'aspect mécanique et raté de ses mouvements. L'art des marionnettes consiste à donner une impulsion et faire en sorte que chacune bouge en harmonie avec les autres et de manière aussi vivante que possible. Les pantins ont toujours fasciné les hommes dans toutes les cultures, sans doute parce que ces inquiétantes créatures sont à notre image, mais peut-être aussi parce qu'elles mettent en perspective l'horreur de notre condition : le refus d'une liberté pour en embrasser une autre par des déterminations. Car si nous coupons les fils qui nous guident, nous voici dans l'indétermination la plus totale, incapables du moindre mouvement, sans buts. Si nous nous reposons sur les fils, nous perdons le caractère autonome de notre condition. La liberté consiste-t-elle dans l'acceptation et l'intégration de contraintes nécessaires ? N'est-ce pas là l'enseignement véhiculé par l'art de donner vie à ces pantins ? La marionnette joue et interprête le rôle que l'artiste lui donne, un peu comme si la vie de l'individu consistait à interprêter le rôle qui lui incombe par la force des circonstances, et que refuser ce joug serait renoncer à toute détermination motrice. Accepter d'être guidé pour vivre selon la détermination au gré des circonstances, voilà bien le contrat du pantin que nous sommes, se donner les fils du rôle que nous interprêterons en tentant de danser avec autant de vivacité qu'il est possible dans ce rôle. Le pantin peut bien se révolter, si son mouvement est contraire à l'intention de l'artiste, le voilà qui perd toute intégrité et toute harmonie. John Malkovich n'est pas homme à se laisser manipuler, il tient un rôle d'acteur qui lui sied bien, et lorsqu'un marionnettiste tente par un procédé occulte de prendre possession de lui comme on guide une marionnette, il ne sera pas vraiment d'accord. C'est que le procédé est étrange. Le marionnettiste raté trouve un travail dans une entreprise dans laquelle, cachée derrière un placard, une ouverture mène jusque dans la tête de John Malkovich, et pour peu qu'on y soit doué, il devient possible de piloter le bonhomme comme on mène un pantin, au risque de se faire éjecter de sa tête à côté d'une autoroute dans un lieu excentré de la ville. Un procédé plus que douteux que Malkovich en vient à vouloir tester lui-même. Que se passe-t-il lorsque John Malkovich entre dans sa propre tête ? Il se croise sous toutes les formes, tous les rôles qu'il pourrait endosser, de la prostituée au pianiste ; incapable de se déterminer. Veut-il prendre le contrôle de sa propre tête, c'est impossible, celle-ci lui disant au fond qu'il n'est pas un mais pluriel, et que seule une détermination extérieure, des volontés autres que la sienne, le guideront dans les rôles susceptibles de lui convenir, car seul face à lui-même, pourquoi un rôle plutôt qu'un autre ? Pourquoi le pantin sans fils, auprès de lui-même, seul, se mettrait-il à danser d'une manière ou d'une autre ? Bien sûr, John Malkovich a bien le droit de savoir qui sera dans sa tête, et au fond, pourquoi y aurait-il quelqu'un lorsque le vécu de son existence suffit à la remplir ? Pénétré de toute la conscience du marionnettiste, John Malkovich perd toute son authenticité, il n'est qu'un coquille vide remplie par la conscience de son nouveau maître qui n'a pas compris qu'en pénétrant son pantin en totalité, il aliène non seulement le pauvre John, mais aussi sa propre personne puisqu'il ne peut plus exister que dans le corps de Malkovich. En ce sens, le marionnettiste a commis l'erreur qui guette tous les artistes du même genre : pénétrer l'oeuvre au point de lui refuser une vie propre, et l'investir au point de perdre sa propre individualité pour ne plus exister qu'à travers elle. En devenant John Malkovich, le héros s'oublie lui-même, et détruit la victime. La marionnette a besoin d'un joug pour agir, mais elle a besoin de liberté pour garantir un mouvement autonome. Curieuse tragédie que l'histoire de Dans le peau de John Malkovich, où seul ce dernier paraît authentique et vrai, tant les autres personnages semblent aliénés d'une manière ou d'une autre. Seul lui ? Non, il y a aussi les marionnettes qui semblent dotées d'un souffle certain qui, à l'instar de John, leur est refusé par le marionnettiste qui y projette ses fantasmes au lieu de les laisser librement exister. Qu'on laisse à John Malkovich le droit d'être un pantin doté de vie, qu'on aspire à être comme lui un acteur authentique qui se donne lui-même les rôles qui lui plaisent dans se laisser aliéner par les exigences extérieures. Dans un monde où tout pousse l'individu à obéir à des déterminations psychologiques et sociales fixées, rares sont ceux qui parviennent à l'authenticité. Soyons comme cet acteur jouant son propre rôle avec ironie ! Soyons John Malkovich !


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