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Chant du Swann

Publié le 12 décembre 2009 par Popov

Chant du Swann

Si comme moi vous avez commis il y a une dizaine d'années, la négligence coupable de ne pas aller voir en salles le film magnifique de Raul Ruiz intitulé Le Temps Retrouvé courez dans la première cinémathèque ou dans le premier vidéoclub combler cette lacune. Comme d'autres vous avez estimé impossible l'adaptation de la "cathédrale" de Marcel Proust (d'autant que celle-ci s'étend de la lanterne magique à la fin du Bottin)...Comme d'autres vous avez jugé peu pensable la phrase proustienne, tortueuse, élancée, digressive incompatible avec une écriture dialoguée vive et interactive requise  par le cinéma d'aujourd'hui. Longtemps vous avez estimé impraticable une succession d'états d'âme, d'émotions fines, de réminiscences si particulières, longtemps vous avez pensé que le style est le grand perdant de l'écran.

Errare...

La force du réalisateur chilien est d'avoir su capter et transcrire en images la recherche ratée des essences chère à l'oeuvre proustienne, son "surimpressionisme" comme aurait dit Gérard Genette . Car c'est bien en termes d'images (de surimpressions) que l'oeuvre peut traduire au cinéma les "impressions" fines du styliste. Ces états de conscience qui se succèdent sans chronologie figée et qui fondent l'art de Proust.Le réalisateur chilien a de plus su rendre  à merveille ce qui fait de Proust un auteur unique (et en tout différent d'un Balzac, d'un Zola, d'un Chateaubriand) , ce que Genette qualifie encore  de palimpseste, c'est à dire de forme sous la forme (là encore de la surimpression) passant de la théorie de l'écriture à celle de l'image(notamment les grands fondus finaux et les "déplacements" au sens quasi psychanalytique des personnages cadrés comme des spectres à la fin du film.Servi par une distribution éclatante (en ce que les personnages traduisent des personnalités complexes et mouvantes comme rarement au cinéma),de Vincent Perez (Morel bicéphale et bisexuel) à Malkovitch (qui campe un Charlus indépassable) de Laurent Grevill (nerveux Robert de Saint Loup, fourchette épatante,viril et paumé) ou jusque dans le moindre second rôle...tout est extraordinairement proustien.Dans ce temps retrouvé (qui n'est pas le temps passé chez Proust mais bien celui de l'art  et pas de l'historien) Swann est l'absent du bouquet . Présent seulement à travers ses femmes (Odette, Gilberte) là encore remarquablement interprétées par Catherine Deneuve et Emmanuelle Béart. Marcel est présent dans l'oeuvre, par un moyen subtil. Un acteur italien qui lui ressemble et joue le narrateur avec la voix de Patrice Chéreau. Subtil , car le narrateur n'est pas l'auteur. Longtemps le "je" de la recherche a été identifié à Proust lui-même . Quelle erreur ! Ruiz a de plus la bonne idée de scinder ce narrateur en trois personnages: l'enfant, l'homme, le vieillard interprété par André Engel (décidément que du beau monde de théâtre). Monsieur Morier Genoud incarne le docteur Cottard cuistre un peu éteint et madame Pisier une insoutenable madame Verdurin. 

 C'est fort et bien proustien. Une performance d'auteur! 

Chant du Swann


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