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Interview : Prodigy

Publié le 19 septembre 2007 par Laurent Gilot @metalincmag
TEXTE : Laurent Gilot
PHOTO : DR
La dernière livraison de Prodigy n'était guère rassurante sur l'état de santé musicale du groupe. En effet, au cours de l'été 2002, le single "Baby's Got A Temper" montrait un quatuor au bout du rouleau, à la limite de l'auto-parodie, comme usé par le rythme effréné des tournées et les excès qui vont avec. Après une pause salvatrice pour les neurones, Liam Howlett a repris les commandes du "blockbuster sonique" et livre aujourd'hui un "Always Outnumbered, Never Outgunned" tonitruant qui fait la part belle aux voix féminines (une première !). Les grosses rythmiques sont toujours là mais Prodigy a gagné en densité et en richesse en brassant furieusement heavy rock, punk, electro, funk et collaborations prestigieuses (l'actrice Juliette Lewis, le rappeur Kool Keith, Liam Gallagher,etc…). Liam Howlett s'en explique.
Comment a été accueilli ton CD mixé "The Dirtchamber Sessions Vol.1" qui est sorti en 99 ?
Liam Howlett : Plutôt bien. À l'origine, on m'avait demandé de réaliser cette sélection qui était un mix pour Radio 1. Il a fallu enlever des groupes comme les Beatles car il aurait été trop difficile de devoir négocier les droits. Mais, je ne me considère pas comme un DJ, c'était juste un bol d'air frais au sein de mon parcours avec Prodigy. Sur "Dirtchamber", je voulais juste m'amuser avec les morceaux des autres, un peu dans le même esprit que ce que les 2 Many DJs ont pu réaliser par la suite. C'était une manière de montrer tout ce qui peut m'influencer musicalement pour créer les morceaux de Prodigy.
Est-ce que la réalisation de ce disque t'a, d'une certaine manière, inspiré pour ce nouvel album ?
L.H. : Plus ou moins. Après la réalisation de "Fat Of The Land", on a passé 2 ans en tournée. Nous n'avons pas eu un moment pour enregistrer quoi que ce soit. Après la réalisation de "The Dirtchamber", j'ai voulu profiter de la vie, sortir, aller dans des soirées. Puis, en 2001, j'ai commencé sérieusement à m'atteler à la réalisation du nouvel album de Prodigy. On a alors réalisé 5 nouveaux morceaux dont "Baby's Got Temper". Tout ce que je peux dire, ç'est que ce titre est le plus mauvais de Prodigy à ce jour… C'est une sorte d'instantané de ce qui se passait dans le groupe à ce moment-là, du chaos que nous étions en train de vivre. Ce morceau n'avait pas l'énergie qu'il fallait et qui caractérise Prodigy depuis le début. C'était devenu une formule. Tous ces morceaux que nous avons enregistrés à ce moment-là, j'ai dû les jeter car il n'y avait plus l'étincelle, l'excitation des précédentes réalisations.
A-t-il été difficile de retrouver à nouveau cette énergie ?
L.H. : En fait, j'ai tout recommencé à zéro. Je me suis remis au travail dans ma maison à la campagne à une heure de Londres. Je me suis assis en face de mes machines et, au cours des 4 mois qui ont suivi, j'ai commencé à devenir fou (rires). Finalement, le producteur avec qui je travaille m'a dit que nous devions sortir de cette maison car on n'arrivait à rien. Nous sommes allés à Londres avec un portable équipé du logiciel Reason, quelques machines et cela a pris un an pour réaliser le nouvel album. Je pouvais travailler n'importe où avec mon ordinateur, dans l'avion, dans un parc…
Ton travail a-t-il été plus spontané que par le passé ?
L.H. : Cette fois-ci, je n'ai pas pensé en terme de "single" ou quoi que ce soit. Il n'y avait pas de limites, de formule. C'était très libérateur. "Girls" est le premier titre que j'ai composé en partant d'un sample. Puis, je me suis dit qu'il fallait que j'en fasse quelque chose de trashy et sexy. J'ai alors appelé mes amies de Ping Pong Bitches qui ont apporté leurs voix et leur feeling electro-punk pour que le titre sonne comme je le voulais. Avec ce disque, le but était de retrouver l'état d'esprit de notre second album où nous pouvions mélanger toutes sortes de choses, des samples, des beats, un son de guitare, des parties vocales, quoi que ce soit, sans règles préétablies.
Et puis il y a beaucoup de filles dans cet album…
L.H. : C'est vrai. Je voulais réaliser un disque qui soit sexy en apportant différents éléments à l'intérieur, en multipliant les collaborations, de Princess Superstar en passant par Juliette Lewis (ndlr : l'actrice avait fait ses premiers pas en tant que chanteuse dans le film de Kathryn Bigelow "Strange Days" en 95). En ce qui concerne cette dernière, c'est un ami qui me l'a présentée au Vyper Room puis j'ai téléphoné à son management pour lui demander de m'envoyer des CDs de son travail. Quand je les ai écoutés, sa voix m'a fait penser à Patti Smith avec ce timbre puissant et profond à la fois. Je l'ai contacté et nous avons commencé à travailler à distance. Puis, nous nous sommes rendu compte qu'il fallait que l'on soit dans la même pièce pour que le résultat soit meilleur. Juliette est alors venue à Londres et nous avons enregistré 3 morceaux en 4 jours. J'ai utilisé les parties vocales comme si c'était des samples en les découpant et les manipulant à ma guise. Au final, le but était d'injecter un feeling différent, plus fantaisiste par rapport à ce que l'on a pu faire sur "Baby's Got A Temper", qui se prenait un peu trop au sérieux. Je voulais retrouver une forme d'humour un peu tordue, une vision féminine que chaque collaboration a amenée.
Peux-tu nous parler de ce "bootleg", "The Way It Is", qui reprend la célèbre ligne de basse du "Thriller" de Michael Jackson ?
L.H. : Je tiens à dire que je ne suis pas un fan de Michael (rires). En revanche, je suis quelqu'un de très nostalgique de mon enfance. Les années passent, notre mémoire n'est plus très bonne mais il y a toujours des musiques pour nous rappeler les différentes périodes de notre vie. Pour moi, ce titre de Jackson retranscrit l'esprit d'une période. Je voulais en donner ma propre interprétation, le dépouiller pour le rendre encore plus dingue, en faire un putain de morceau 80's pour le dancefloor en n'ayant aucun respect pour l'original. C'était ma démarche, avoir une vraie approche punk. J'ai même rencontré le compositeur de "Thriller", Rod Temperton qui m'a donné l'autorisation d'utiliser le sample.
Aujourd'hui, qu'est devenu, selon toi, le gamin de Braintree, ta ville d'origine dans l'Essex ? As-tu un point de vue sur ton évolution personnelle ?
L.H. : Je crois que je suis resté le même gamin. Lorsque que j'ai élaboré les premières démos de Prodigy, j'avais les Sex Pistols et Public Enemy dans la tête. C'était ce que j'aimais comme genre de production et de musique quand je n'étais encore qu'un kid. J'aimais le chaos et l'énergie des Pistols et la puissance des beats de Public. J'ai constamment eu cette fusion en tête au moment d'aborder la réalisation d'un album de Prodigy. Même quand je réalise cette relecture du morceau de Michael, j'ai ces références à l'esprit. Mais, attention, il n'y a pas de messages politiques dans Prodigy. Notre seul but est de faire en sorte que les gens se défoulent et sortent de leur train-train. C'est une idée simple. Quand j'étais plus jeune, je bossais toute la semaine en attendant avec impatience le vendredi et le samedi. C'était au moment de l'explosion de la scène rave et je me libérais en écoutant des sons simples et durs à la fois. C'est cette philosophie que l'on applique avec Prodigy. Les gens ont encore besoin de ça aujourd'hui, de pouvoir échapper à leur quotidien. On veut être les plus directs et puissants pour participer à cette émancipation à travers la musique. Par exemple, un titre comme "Spitfire" n'a aucun autre but que d'offrir une grosse dose d'énergie libératrice. C'est comme ça que les gens doivent le prendre.
Comment cela va-t-il se passer concrètement sur scène alors que ça fait un moment que le quatuor n'a pas joué ensemble ?
L.H. : Nous partons en tournée en octobre et ça va être très excitant. Nous avons donné quelques shows en 2002, lorsque "Baby's Got Temper" est sorti, mais rien de très mémorable. Même si les choses vont vite et que deux ans passent très vite, nous sommes encore relativement jeunes par rapport à Primal Scream, par exemple (rires). Ces derniers ont presque plus d'énergie que les nouveaux groupes punk d'aujourd'hui. Je crois que Prodigy a encore sa place sur la scène musicale actuelle. Dans le domaine de la musique électronique, personne n'apporte un feeling équivalent à celui que l'on peut apporter. C'est pareil pour les Beastie Boys, personne ne peut jouer sur leur terrain. Même si ce nouvel album est un peu différent de ce que l'on a pu faire par le passé, cela sonne encore comme du Prodigy et d'une certaine façon, "Always Outnumbered, Never Outgunned", se rapproche de la dureté de notre second album, "Music For The Jilted Generation".
Aujourd'hui, plus que jamais, Prodigy est-il un groupe en "colère" ?
L.H. : Non, nous ne sommes pas ce genre de groupes que l'on peut voir sur MTV et qui semblent en colère. Ce n'est pas de la vraie colère, c'est juste une attitude. Il y a beaucoup de groupes comme ça à l'heure actuelle, surtout aux Etats-Unis. Prodigy se veut être le reflet de l'état d'esprit punk qui n'a rien à voir avec la colère. Il est vrai que, lors de la conception de ce nouvel album, j'ai beaucoup écouté de rock, des trucs comme Queens Of The Stone Age mais je n'ai pas trop acheté de disques. Finalement, je n'ai fait que marcher dans la rue en m'imprégnant de tous les sons qui pouvaient sortir des magasins. J'ai essayé d'être plus ouvert à différentes influences plutôt que d'écouter les derniers disques à la mode ou quoi que ce soit de ce genre-là. Par exemple, un soir, j'avais un dîner romantique dans un restaurant et j'ai entendu une musique qui a tout de suite attiré mon attention. Je suis alors allé dans la cuisine et j'ai demandé au type de me dire le nom du Cd de musique iranienne qui était en train de passer. Aujourd'hui, on peut retrouver le sample de ce morceau sur le titre "Medusa's Path". J'ai donc profité de toutes les opportunités pour trouver mon inspiration, me laisser influencer par tout mon environnement et c'était vraiment très enrichissant.
Prodigy "Always Outnumbered, Never Outgunned" (Maverick/XL/Delabel)
Sortie le 24 Août 2004
www.theprodigy.com

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