Magazine

Radiographie des marchés en 2010 / par Alain Sueur

Publié le 18 février 2010 par Argoul

Conférence présentée aux étudiants de l’École Supérieure de Commerce de Paris (ESCP)Note reprise par le Café de la Bourse

Le stratège est original. Ni économiste (prévisions par le rétroviseur), ni analyste (focalisé sur son secteur), ni gérant (obsédé par ses règlements et contraintes de portefeuilles), ni trader (hanté par le day to day) – le stratège gère le complexe et le risque moyen terme. Il donne de la cohérence à l’aventure des anticipations. Car les marchés sont constamment dans l’avenir, dans l’événement spéculatif.

Que nous disent les marchés en cette mi-février ? Que la croissance n’est pas partout la même et que la locomotive est la Chine. Que l’économie américaine est très réactive, ce qui conforte le dollar. Que la dette grecque est faite pour amuser les traders et qu’elle n’est probablement pas un risque systémique. Que les équilibres du monde changent, comme le prouve l’Iran et son impact potentiel sur le pétrole.

Graphique de l’indice américain Standard & Poors 500 sur 5 ans

2010-02-sp500-5ans.1266412365.jpg

1.Situation économique

Après la pire récession depuis les années 30 : -5% Allemagne et Japon, -2,4% USA, -2,2% France

•  Hiérarchie des croissances : Chine-Inde 8-10% l’an, 5% Brésil, Moyen-Orient, Afrique sud-saharienne, Etats-Unis et Royaume-Uni 2-3%, 1,5-2% Japon, -1 à +2% Europe (1,9% Allemagne, 1,7% France)

•    Les marchés s’intéressent en premier à la Chine, en second aux USA, en dernier à l’UE. 

•  Les risques de marché sont dans cet ordre.

•  Le risque principal est en Chine, pays politiquement rigide où une masse sociale de mingongs (paysans sans terres formant le sous-prolétariat des industries exportatrices) est prête à tout en cas de rejet de leur intégration à la prospérité. Les filets sociaux sont inexistants en Chine (éducation, santé, chômage, retraite) : chacun est son propre assureur. D’où un taux d’épargne de 50% du revenu (il est d’environ 12% en France et est passé de 0 à 7% aux États-Unis). Cette situation inhibe le développement autonome chinois (production chinoise pour consommation chinoise) et incite aux bulles spéculatives en actions et immobilier, le système financier restant sous-développé (yuan non-convertible, banques sous l’égide politique du parti).

2.Remontée du dollar

De 1.54 à 1.36 contre euro en deux mois (€ -12%), dû : 

•  Au tour de vis monétaire chinois pour surchauffe (donc tensions sociales probables)

•  À la reprise de la croissance US (PIB 4T +5,7% à relativiser mais seulement +0,1% pour UE, France +0,6%) et annonce par la Fed que les taux courts devront remonter (probablement cette année)

•    A la faiblesse persistante de la croissance européenne, faiblesse qui devrait durer : réformes retardées, politiques communes très difficiles, déficits budgétaire et sociaux au maximum. Alors que les relais de la consommation et de l’investissement sont très lents à revenir pour cause de restriction du crédit et du chômage.

•    Au sauvetage réussi du système financier en avril, à la forte relance américaine, à la reprise des échanges internationaux, au fait que la Chine a besoin des États-Unis pour son développement. La baisse des écarts de taux et la persistante stagnation européenne signifient que le dollar va rester demandé, donc restera fort relativement à l’euro. 

•  Graphiquement, il a opéré son double-creux de fin de baisse en novembre 2008 puis avril 2009. Le principal de son rebond face à l’euro est probablement fait, sauf délitement monétaire de l’UE, hypothèse que je ne suis pas.

3.Endettement de la Grèce

•  Mais la Grèce est le symptôme de la mal Europe. Quand la politique est inexistante, les marchés en profitent : les emprunts grecs à 10 ans coûtent le double des emprunts allemands. Ni l’endettement de la Californie, ni celui de l’Irlande n’ont conduit à des attaques contre ces entités. L’eurozone n’est pas crédible en raison du Pacte de stabilité : laxisme quand l’endettement est inférieur à 3% PIB mais très restrictif dès qu’il dépasse 3% (= procyclique comme l’évaluation des dérivés hier en mark to market). Quand les politiciens ne sont pas crédibles, les marchés commandent. Ce n’est pas la faute des marchés…

•  Zone euro en 2007 : déficit budgétaire moyen 1% et endettement/PIB moyen 65%. En 2010 (prévisions Commission Européenne) déficit 6,7% et endettement 83% ! Les limites de la relance publique sont clairement établies.

•  La question est celle de la régulation : à peine entamée après le krach 2007, jamais contrôlée comme l’ont montré le krach 2000 des technologiques, les comptes d’Andersen 2002 et l’inefficacité des réglementations des banques et assurances en 2007 (krach immobilier subprimes, faillite de Fannie Mae et Freddy Mac contrôlés par l’Etat, faillite assureur AIG, difficulté des fonds de pension…). Va-t-elle réussir cette fois-ci ? Les lourdeurs administratives, les relations incestueuses banquiers et politiciens et l’inventivité financière permettent d’en douter…

•  Les propositions du président Obama de limiter la taille des banques, d’interdire la spéculation pour compte propre aux banques de réseau, de surveiller les places offshores et d’enregistrer les hedge funds vont dans le bon sens. Mais la moulinette du Congrès va édulcorer les bonnes idées. Le reste du monde n’ira pas plus loin.

•  Cela pose question à la démocratie : le modèle occidental de longs débats et de compromis est remis en cause par la crise, qui demande des décisions rapides et suivies. La Chine autoritaire à parti unique offre aux pays du monde un modèle économique en apparence plus efficace (comme Napoléon III ou Bismarck). Quand le chômage de masse qui touche les classes moyennes (10% officiels mais 18% réel aux USA, 9,5 et 15% en France), la tentation populiste renaît (comme dans les années 30) de casser le thermomètre (les marchés) et de trouver un bouc émissaire (les spéculateurs). 

•  Va-t-on réussir à contrôler les acteurs sans bouleverser le modèle ? Le nouveau capitalisme plus durable verra-t-il le jour sans soubresauts ?

4.Relations avec l’Iran

La crise de la démocratie en Iran montre ces limites nouvelles du pouvoir occidental.

•  Le modèle américain a failli : en économie (krach des technologiques), en comptabilité – qui mesure l’efficacité de la technique capitaliste !- (Enron-Andersen 2002), en géopolitique (11-Septembre + guerres Afghanistan et Irak à 10Md$ mois), en finance (krach 2007 des subprimes).

•    L’Iran est encouragé par la Chine qui veut secouer le joug moral, géopolitique, monétaire et économique de l’Occident mené par les États-Unis. L’Iran se pose en rebelle du monde émergent.

•  Il pose la grave question de la prolifération nucléaire qui menace directement les populations

•  Pour les marchés, la question majeure est celle du pétrole, la route du détroit d’Ormuz (80% du transit mondial) serait coupée.

•  Avec pour conséquences : inflation de l’énergie, retombée dans la récession aux États-Unis, au Japon et en Europe, de graves troubles sociaux et donc une menace de guerre ouverte (comme dans les années 30).

•  La question iranienne montre combien désormais la planète est unique (énergie, ressources, climat, commerce, bien-être). Ce pourquoi je ne crois pas à une troisième Guerre mondiale, qui serait suicidaire, mais à des conflits régionaux possibles.

•  A court terme la tension profite à l’économie-monde (Etats-Unis) donc au dollar (monnaie de réserve mondiale). Surveiller l’or, l’indice Baltic dry pour l’intensité du commerce international, le dollar contre euro et yen.

Conclusion :

Les risques majeurs apparaissent moins sur l’Europe malgré les mensonges grecs et les palinodies de l’UE pour aider le pays que sur la Chine et les Etats-Unis qui sont moteurs de l’économie mondiale.

•  Chine : troubles sociaux (donc politiques) en cas de restrictions trop vives au crédit et krach des bulles actions et immobilier, seule épargne pour remplacer filets sociaux inexistants ou presque

•  Etats-Unis : délicat équilibre entre remontée inévitable des taux et baisse très lente du chômage

•  Grands perdants de la crise : UE, Japon, Russie

•  Le CAC40 pourrait tomber à 3460 voire 3280 avant un objectif à 4340. Nous sommes en probable pause d’une correction II en Eliott. Double-creux actions à attendre, comme le dollar l’a fait. Peut-être vers octobre 2010 ou au printemps 2011 (retombée de la croissance américaine donc rétractation de la croissance chinoise).

Alain Sueur, auteur des “Outils de la stratégie boursière” (2007) et de “Gestion de fortune” (2009), est rédac chef du Blog Boursier et écrit régulièrement sur Fugues.

ééééé

ééééé


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Argoul 1120 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte