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Premier assaut réussi de l'Armée des Romantiques

Publié le 19 février 2010 par Philippe Delaide

Alexis Kossenko (flûtiste) et Remy Cardinale (pianiste) ont eu la belle initiative de constituer un groupe qui, sous le nom martial d'Armée des Romantiques, a pour ambition de nous faire découvrir différentes facettes du répertoire français du XIXème siècle, plus spécifiquement, la période charnière des années 1840 - 1860, nous permettant de revisiter l'esprit des grands salons parisiens. Des compagnons fidèles ce sont joints au duo des protagonistes comme Emmanuel Balssa (violoncelliste), Magali Léger (soprano) et Alain Buet (baryton).

L'Armée des Romantiques donnait vendredi 12 février au soir leur premier concert de la saison 2010 dans le lieu qu'elle a investit, particulièrement adapté à la musique de chambre, à savoir le Temple du Foyer de l'Ame, près de la Bastille à Paris.

Temple Foyer ame 1
Pour ce concert, la troupe qui s'était mise en ordre de bataille était constituée d'Alexis Kossenko, Remy Cardinale et Emmanuel Balssa. La première partie comprenait deux volets : l'un autour de Frédéric Chopin avec la mise en résonance, notamment, de nocturnes du pianiste avec des transcriptions d'Auguste-Joseph Franchomme pour violoncelle et piano, l'autre autour de la virtuosité tant pour flûte que pour piano. La seconde partie, construite autour de Camille Saint-Saëns, aborde quant à elle, ce que l'on pourrait appeler les prémices des grandes pièces de l'école française à la jonction des XIXème et XXième siècles, annonçant des compositeurs comme Gabriel Fauré ou Claude Debussy.

Le concert débute donc avec, en alternance des pièces de Frédéric Chopin et des transcription d'Auguste-Jospeh Franchomme, ami de Chopin, excellent violoncelliste et compositeur, tombé malheureusement dans les nimbes de l'oubli des productions musicales, aussi bien au disque qu'en concert. Les quelques pièces de Franchomme qui sont quelque fois jouées sont ses Caprices et Etudes ou bien son Grand duo concertant en mi majeur sur des thèmes de "Robert le Diable" de Meyerbeer. Remy Cardinale et Emmanuel Balssa nous ont permis de découvrir les transcriptions de la Mazurka opus 33 n°3, des nocturnes opus 15 n°1 et opsu 55 n°1. Ce dernier a d'ailleurs été joué tout au début dans sa version d'origine pour piano par Remy Cardinale. Il était ainsi possible de juger à quel point la richesse harmonique des pièces pour piano de Frédéric Chopin permettait de les transcrire sous forme de l'équivalent d'un mouvement de sonate pour violoncelle et piano.

Le choix de l'interprétation l'Etude opus 25 n°7 de Chopin par Remy Cardinale comme toute première pièce du concert était particulièrement judicieux. Jamais le prédominance de la main gauche, marque de fabrique quelque par du compositeur polonais, m'avait autant marqué. C'est la clé de fa qui porte la mélodie et celle de sol qui assure le soutien rythmique. Cette logique inversée est une invitation indéniable à la transcription du motif déployé sur la clé de fa pour le violoncelle, avec accompagnement du piano.

Rémy Cardinale propose une lecture attachante et méditative des deux nocturnes qu'il a interprétés, déployant de belles couleurs sur le piano Erard de 1851 utilisé pour le concert. J'aurais souhaité pour ma part un peu moins de retenue de la part d'Emmanuel Bassa, même si sa sensibilité sur ces pièces de Franchomme permet d'en apprécier la profondeur.

Le second volet fait intervenir tout d'abord la flûte dans un solo de concert du flûtiste et compositeur

Flûte Louis Lot
 Jules Auguste Demerssemann (6ème solo de concert opus 82), particulièrement virtuose. Alexis Kossenko fait d'emblée la démonstration de sa maîtrise exceptionnelle de l'instrument non seulement en surmontant les quadruples croches et trilles en tout genre avec un aisance remarquable, mais également en révélant différentes nuances qui nous permettent d'apprécier une composition qui ne doit pas seulement être un air de "bêtes à concours" mais, accessoirement, traduire différents climats dans la tradition des grandes compositions sur des thèmes italiens.

Remy Cardinale enchaîne ensuite, précisant au passage non sans humour, une certaine forme d'inconscience, puisqu'il s'attaque à une pièce redoutable de Charles Valentin Alkan (air de ballet dans le style ancien opus 24). La difficulté de cette pièce réside dans sa complexité rythmique, avec de nombreux déplacements, enchaînant des octaves de façon incessante. On sent que sur ce type de morceau, également virtuose, le pianiste est constamment en danger, d'autant plus qu'il faut surmonter la difficulté technique de l'instrument pour tenter de garder une certaine netteté, transparence alors que la texture de cette oeuvre est très resserrée. Remy Cardinale y est très bien parvenu, surtout compte tenu de la dynamique et de la vélocité forcément moindres dans un Erard 1851, que dans un piano dit moderne.

En seconde partie de concert, j'ai particulièrement été marqué par une superbe pièce de Camille Saint-

Flûte Louis Lot
 Saëns, une Romance pour flûte et piano opus 37, trop peu jouée ou enregistrée, rêverie post-romantique, véritable petit bijou d'une raffinement inouï, où le temps semble suspendu. Cette pièce annonce indéniablement Gabriel Fauré et, comme le précise Rémy Cardinale en introduction, comprend même quelques accents debussiens. Trois mouvements du trio d'Eugène Walckiers concluent le concert, regroupant les trois musiciens pour nous faire découvrir une composition puisant ses racines aussi bien chez Felix Mendelssohn que Franz Schubert.

Lors du déroulement du concert, Alexis Kossenko a utilisé trois modèles de flûtes, nous précisant avec beaucoup de pédagogie comment l'instrument avait considérablement évolué en l'espace de quelques dizaine d'années en France, pour prendre sa forme "définitive" connue actuellement à partir du début des années 1880. Il est parti du modèle conique en bois à 8 clés que le virtuose français Jean-Louis Tulou a défendu tout au long de sa carrière, pour ensuite jouer sur deux modèles, l'un toujours en bois et l'autre en argent mais dont la configuration a été pour les deux instruments, entièrement repensée par Theobald Boehm et qui, pour sa version en argent, constitue l'archétype actuel de la flûte traversière. Les trois flûtes utilisées par Alexis Kossenko lors du concert étaient signées Jean-Louis Tulou, Louis Lot et Auguste Bonneville.

L'une des vocations que ce fixe l'Armée des Romantiques est qu'en adoptant des instruments dont la facture est la plus proche de celle de l'époque où les pièces interprétées étaient composées, on en révèle encore plus la modernité et l'audace. Je trouve cette approche particulièrement pertinente. Ces concerts, dans un lieu qui a visiblement une âme, à l'acoustique tout à fait adaptée à une configuration de musique de chambre, avec les commentaires éclairants et intelligents des interprètes, apportent une belle proximité des musiciens avec le public. Les musiciens de l'Armée des Romantiques apportent une lecture intelligente et sensible des oeuvres, avec une excellente maîtrise technique. Souhaitons longue vie à cette armée de vaillants soldats qui combattent pour que le public sorte des sentiers battus (dixit des programmations complaisantes). 


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