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Cendrillon (de Eric Reinhardt)

Par Ceciledequoide9
Cendrillon (de Eric Reinhardt)Bonjour aux fétichistes des pieds
Bonjour à celles et ceux qui croient aux contes de fées
Bonjour aux zotres

Comme mon fidèle lectorat le sait, Cendrillon fait partie des 3 romans francophones finalistes du prix Quoid9 et j'avoue avoir du mal à déconnecter ma critique de cet "événement" et à ne pas comparer ce roman aux deux zotres encore en lice (ça serait tellement plus fa-Cécile pourtant). Je vais toutefois essayer.
Le sujet
Patrick Neftel est dangereux, Laurent Dahl est trader (ce qui revient peut-être au même ?), Thierry Trockel est chimiste et Eric Reinhardt est écrivain. Les points communs, passerelles et autres liens entre ces 4 personnages sont multiples et l'auteur, tout en se mettant en scène joue avec ses 3 avatars à l'éternel jeu des variations autour d'un même thème, celui d'un homme désirant sa femme, marqué par son père et aimant Mallarmé.
Mon avis

J'ai rarement été aussi empruntée avant de rédiger une critique tant je ne sais par quel bout aborder cet objet certes sagement rectangulaire (comme tout livre qui se respecte destiné à un lectorat de plus de 36 mois) mais surtout étrangement polymorphe en plus d'être polyphonique. Après plusieurs semaines de réflexion, je ne sais toujours pas exactement ce que je pense de Cendrillon. Je n'ai pas adoré, je n'ai pas détesté non plus (loin de là), le livre ne m'a ni laissée indifférente, ni subjuguée. En outre, j'ai un mal de chien à rédiger cette foutue critique, batarde, bancale, mal écrite, confuse, décousue, où je suis incapable de transcrire simplement mes impressions (et je ne suis pas la seule d'après ce que dit Liliba depuis quelques jours). Groumpf. Ca m'énerve mais peut-être est-ce finalement
révélateur des reproches que je pourrais adresser au roman en dépit de ses qualités évidentes.

Je vais donc commencer par un constat purement factuel : Le livre est très épais (631 pages en poche). Pas besoin de l'ouvrir pour s'en apercevoir, c'est manifeste dès la librairie : il faut donc un certain courage voire un courage certain pour entamer sa lecture à une époque où un roman dépasse rarement les 300 pages et disposer d'un minimum de temps et de disponibilité d'esprit pour en venir à bout car en plus d'être long, le livre est très dense sur la forme (police de caractère minuscule, mise en page resserrée, absence de paragraphes, chapitres longs) comme sur le fond.
Le texte est tentaculaire, il fourmille de références, de rencontres, de digressions, d'entrelacs, d'aller-retour et pas seulement ferroviaires. En plus de brosser d'intéressants portraits (dont un auto-portrait), l'auteur dresse un large panorama de la fin du XXe siècle qui sert de toile de fond à l'évolution de destins individuels contrastés, au développement de réflexions personnelles sur la danse, l'écriture, la fuite en avant irresponsable du monde de la finance, l'automne, le désir, etc. et sert de prétexte à quelques focus ponctuels sur Mallarmé, Louboutin et quelques zotres. C'est souvent admirable et ça donne aussi un peu le vertige.

C'est souvent passionnant donc, mais le problème est que ça ne l'est pas toujours. Dire que j'ai eu du mal à venir à bout du texte serait exagéré mais pas totalement faux. Je crois que les qualités mêmes du livre, son foisonnement, sa richesse, son éclectisme, sont également ses limites tant il est vrai que, parfois, le trop est l'ennemi du bien. A multiplier les récits et les thèmes, nécessairement, certains intéressent moins que d'autres et l'attention suscitée par le roman est fatalement en dents de scie. Si j'ai trouvé les pages sur les ressorts et perversités des mécanismes financiers brillantes, passionnantes voire quasi extraordinaires de limpidité et d'humour, celles si vibrantes et cérébrales consacrées à la danse m'ont passablement gonflée tant il est vrai que :
- l'intérêt personnel que je porte à l'un et à l'autre sujet est très différent d'une part,
- d'autre part, le traitement même de ces deux thématiques par l'auteur est pour le moins contrasté et j'adhère plus au rythme quasi oral et à l'humour qui fourmille dans les pages "trading" qu'aux descriptions très sérieuses des paragraphes "ballet".
J'ai donc dévoré certaines pages que j'ai trouvées franchement jubilatoires (je sais, c'est hyper cliché comme adjectif dans une critique mais que voulez-vous, quand c'est le mot juste, autant l'employer), pleines de rythme, brillantes, spirituelles et avancé poussivement sur d'autres passages que j'ai jugés soporifiques voire décourageants. J'ai d'ailleurs eu la nette impression que ce phénomène d'attention variable touchait l'auteur lui-même tant il est vrai, par exemple, qu'il délaisse purement et simplement un de ses avatars en cours de récit (pour curieusement revenir à lui vers la fin du roman), personnage pas assez porteur et pas assez nourri, contrairement aux deux autres qui méritent on ne peut mieux (jusqu'à la caricature jugeront certain(e)s) le label "personnage de roman".
J'en arrive tout naturellement à une autre limite du livre : au propre comme au figuré, Eric Reinhardt n'est pas un personnage de roman... il en résulte de nets décalages de fond et de forme entre les récits à la 3e personne du singulier étalés sur plusieurs décennies consacrés à Dahl ou Neftel et les réflexions et analyses sur le vif développées dans les paragraphes plus autobiographiques et rédigées à la première personne du singulier. Ca m'a un peu gênée. Certain(e)s ont trouvé le résultat complètement narcissique voire exhibitionniste. Je ne l'ai pas du tout ressenti dans les pages les plus chaudes du roman qui figurent parmi mes préférées. Elles sont parfois qualifiées de vulgaires et gratuites mais je suis loin de partager cet avis : pour moi en matière de sexe, la vulgarité a la forme d'un bidet ou d'un thermomètre (lire David Lodge).
Paradoxalement (ou pas ?), si j'ai decelé de l'exhibitionnisme chez l'auteur, c'est lorsqu'il évoque son métier (notamment dans ce fameux mail à cette mystérieuse correspondante supposée organiser une conférence) tant ces pages me semblent teintées d'auto justifications et d'explications de texte qui m'évoquent plus la lettre ouverte voire le règlement de compte à distance que le propos littéraire. En fait, j'aurais préféré que le texte parle de lui-même, qu'il n'appelle pas de décodage démonstratif (comme les métaphores développées à travers les fantasmes de l'avatar Trockel) et surtout qu'il soit jusqu'à la fin construit tel une tresse cohérente, équilibrée entre les différents sujets traités et personnages évoqués... au lieu de cela, le livre perd son fil conducteur et s'essouffle dans les 100 dernières pages. C'est bien dommage car le lecteur qui est allé jusque là aussi et il se demande où l'auteur voulait en venir au final.
Si certain(e)s comparent parfois Cendrillon à un puzzle, j'ai eu quant à moi l'impression qu'il manquait certaines pièces et que d'autres appartenaient à une autre boite. Autrement dit, j'ai songé en lisant Cendrillon qu'il y avait là matière à plusieurs livres et quelques nouvelles et que tenter de les rassembler en seul récit était un tour de force périlleux dont les limites se faisaient nettement sentir dans l'incapacité de l'auteur à conclure son roman, à lui apporter une cohérence finale qui justifierait la juxtaposition des destins de ces avatars et de ces réflexions personnelles tous azimuts. Peut-être n'était-ce pas souhaité, mais moi, ça m'a manqué.
En outre, je ne perçois pas l'originalité formelle si souvent louée par les mordu(e)s de Cendrillon. Le procédé du roman à plusieurs voix est finalement très répandu : Joseph Connoly, Emmanuel Dongala, Jonas Hassen Khemiry (pour ne citer qu'eux) sont quelques uns des auteurs dont j'ai lu (et apprécié) des romans à plusieurs voix et qui, je trouve, utilisent le procédé avec plus de réussite. On peut également songer à Faulkner, à Stephen King (si j'ose dire "ça" n'est fait que de ça) et une tonne d'auteurs anglo-saxons dont, évidemment, les noms m'échappent quand j'ai besoin d'eux.
Il n'en reste pas moins que l'auteur possède une culture évidente et une intelligence qui transparaît dans chaque page. C'est assez admirable mais au delà de cela, une chose m'a véritablement scotchée dans ce livre : la qualité pour ne pas dire l'évidence des dialogues. Là où tant d'auteur(e)s pondent des discussions improbables, des échanges qui sonnent faux, des conversations aussi creuses que de mauvais radis, Eric Reinhardt pond des pages et des pages de dialogues vraiment extraordinaires. Là, ça m'a laissée baba d'admiration tant le résultat est vivant, drôle, authentique, fluide. Du grand art et tout à coup je me prends à rêver d'une pièce de théâtre signée Reinhardt, pour voir (et pour lire !).
Alors, au final, oui, j'ai aimé ce livre tout en décrochant parfois, en ayant la tentation de sauter des pages entières ou de les lire en diagonale ce que je ne fais jamais habituellement (sinon ça ne s'appelle plus "lire un livre" mais "feuilleter un bouquin"). Mais moi, la tentation, j'avoue, je la traite comme Oscar Wilde...

Quelques liens divergeants

Certains avis cassent, d'autres encensent. Le livre ne mérite à mon avis ni tant de louanges ni tellement de hargne.
http://pitou.blog.lemonde.fr/2007/11/http://legolb.over-blog.com/article-19502730-6.htmlhttp://legolb.over-blog.com/ext/http://bartllebooth.over-blog.com/article-7226428.htmlhttp://bibliobs.nouvelobs.com/2007/10/29/cendrillon-deric-reinhardthttp://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/21910
Conclusion
Un roman riche, très riche jusqu'à devenir un peu indigeste parfois. Même si elle n'est pas dénuée d'humour, de distance, la démarche manque parfois un peu de légèreté. Du très au trop il n'y a qu'un pas et, même (surtout ?) chaussée de Louboutin, on a de temps à autre du mal à faire le suivant. Il n'en reste pas moins que certains passages sont de vrais tours de force et qu'au final j'ai envie de lire les zotres romans d'Eric Reinhardt. N'est-ce pas le meilleur signe qui soit ?

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