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Les rapports de pouvoir en psychiatrie

Publié le 26 février 2010 par Marianne

Les rapports de pouvoir en psychiatrie

Après plus d’une heure de retournements infructueux dans mon lit, cherchant en vain le sommeil, alors qu’on sait bien que dans ces moments là ce sont juste les pensées les plus débiles qui viennent vous marteler la tête(en vrac, "Ai-je bien fermé le frigo?" "Je fais quoi demain?" "Qui suis-je ,"), je reviens devant mon cher ordinateur. Après avoir été longtemps une adepte des théories de la psychanalyse, je commence à m’ouvrir à ses détracteurs. Sans entrer non plus dans une remise en cause qui ne serait que subjective, je me plonge dans Le pouvoir psychiatrique - Cours au Collège de France 1973-1974 de Michel Foucault 1, où il ne traite pas réellement de la théorie, mais de la pratique de la psychiatrie, particulièrement dans les asiles.


Il  y évoque le pouvoir exercé par les mécanismes d’une institution, ayant comme « maître » le psychiatre, mais c’est un pouvoir diffus, non unique, mais régi par un ensemble de règles et de hiérarchies. La psychiatrie ne soignerait donc pas par le savoir, mais par le pouvoir qu’elle exerce. " La condition, donc, du rapport à l'objet et de l'objectivité de la connaissance médicale, et la condition de l'opération thérapeutique sont les mêmes : c'est l'ordre disciplinaire. Mais cette espèce d'ordre immanent, qui pèse indifféremment sur tout l'espace de l'asile, est en réalité traversé, entièrement animé de bout en bout par une dissymétrie qui fait qu'il est rattaché, et rattaché impérieusement, à une instance unique qui est à la fois intérieure à l'asile et est le point à partir duquel se font la répartition et la dispersion disciplinaires des temps, des corps, des gestes, des comportements, etc. Cette instance intérieure à l'asile, elle est en même temps elle-même dotée d'un pouvoir illimité auquel rien ne peut et ne doit résister. Cette instance, inaccessible, sans symétrie, sans réciprocité, qui fonctionne ainsi comme source de pouvoir, élément de la dissymétrie essentielle de l'ordre, qui fait que cet ordre est un ordre toujours dérivant d'un rapport non réciproque de pouvoir, eh bien, c'est évidemment l'instance médicale qui, comme vous allez le voir, fonctionne comme pouvoir bien avant de fonctionner comme savoir. "


Si je peux comparer cela à ma propre courte expérience, le pouvoir s’exerce effectivement par un ordre établi, consistant non pas à conduire le patient à prendre conscience de lui-même et, éventuellement, de sa folie, mais consistant à le normaliser, par une domination médicale. La discipline est la régisseuse de l’hôpital psychiatrique. Les horaires, les interdictions, le respect de la hiérarchie médicale. La discipline y est quasi militaire puisque la "guérison" doit avant tout passer par une soumission. Accepter les règles d’un hôpital, c’est accepter que l’on est malade et donc se soumettre à sa guérison, mais sans en être acteur. Le patient devient objet et non plus sujet.
Mais ce qui se passe à l’intérieur d’un asile se passe de manière similaire, bien que de manière plus latente, à l’intérieur d’un cabinet de psychiatre.


Il faut avant tout différencier l’autorité que l’on nomme naturelle (inhérente à une personne, et qui serait basée plutôt sur un savoir, une compétence) à l’autorité de statut (autorité conférée par une fonction). Il est très facile pour un patient, et moi la première, de se laisser porter par une autorité de statut (le psychiatre est psychiatre donc sa parole est supérieure à celle du patient) et d’accepter toute analyse sans recul. Quelques soient les thérapies (psychanalyse, thérapies comportementales, etc.) j’ai retrouvé cette même impression à chaque fois, exceptée chez les psychanalystes non médecins. Il y aurait donc, mais c’est évidemment une Lapalissade, un formatage dans les écoles de médecine qui amènerait à dénier l’aspect humain, individuel au patient pour ne le considérer que comme un objet d’analyse. Il s’agit d’une manipulation du soi, une domination qui s’exerce aussi bien de manière mentale par la suggestion ("Vous devriez...", "Il est avéré que... ") que physique par la prise des médicaments.


J’ai souvent lu ou entendu, de la part de divers abrutis, que personne ne "nous" force à prendre des médicaments. Mais ce serait oublier la relation même d’un médecin vis-à-vis de son patient, qui le maintient sous son joug, probablement sincère au demeurant, intimement persuadé de détenir le savoir mais ne sachant l’exercer que par la force. Il n’est jamais question de transmission ou d’échange dans la psychiatrie, il s’agit d’un rapport de force entre une souffrance et une solution imposée à cette souffrance. Le patient n’a donc comme alternative que d’obéir aux recommandations ou de repartir avec sa souffrance. Et étant donné qu'on le catalogue comme malade, quelque soit la nature de son mal, il obéit. Dressé, docile, il se laisse porter par cette corporation de psychiatres, sans pour autant comprendre lui-même de quoi il souffre. Il ne s’éveille pas, il essaie de correspondre à la norme que la psychiatrie définit. Il en va de même pour la psychiatrie que pour toutes les institutions qui, à la fois, individualisent, isolent, et soumettent.


Sauf qu’il s’agit ici non pas seulement de se soumettre à une norme sociale, mais également à une norme que je définirais comme morale, en culpabilisant le patient indirectement, en le définissant comme "anormal" et d’un autre côté, en lui promettant de pouvoir rentrer dans cette norme. En oubliant la notion d’acceptation, qui ne passe jamais par l’aliénation à une norme, mais par une capacité à se définir par rapport à cette norme, à accepter d’en être parfois décalé, d’y être parfois intégré, mais surtout de trouver une place qui nous convienne à la fois en tant qu’individu unique et en tant qu'individu vivant en société. Il n’y a pas une définition unique se soi, et la seule façon de pouvoir en prendre conscience est d’accéder au savoir, de faire en sorte que ce savoir soit enseigné, partagé, compris afin de pouvoir se libérer du pouvoir exercé à notre insu et de toute domination psychologique.
1:  Extraits de "Le pouvoir psychiatrique"


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LES COMMENTAIRES (2)

Par  Marianne
posté le 28 février à 13:54
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Merci pour votre témoignage Paule.

Vous avez tout à fait raison de faire allusion à la "sensibilité". C'est en effet une donnée absolument nécessaire pour comprendre comment fonctionne un individu, on ne peut le comprendre en dehors de son contexte, de son expérience, de son vécu, nous ne sommes et nous ne serons jamais des machines.

Vous avez également raison sur la psychanalyse :) J'aurais du plus insister sur ce point, puisque la psychanalyse et l'hypnose, loin de l'enfermement chimique, m'a bien plus aidé que n'importe quoi.

Par Paule
posté le 26 février à 17:54
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Ce que vous dites me touche beaucoup. J'ai beaucoup réfléchi la question également, alors que ma soeur, une artiste extraordinaire, a passé plusieurs années à taire sa créativité et à pourrir dans l'aile psychiatrique d'un hôpital à Montréal. Elle a failli y laisser sa vie puisque les efforts pour la catégoriser dans une "catégorie" psychiatrique étaient peu concluants, son état se dégradait au fil des mauvais diagnostiques. Ce besoin de catégoriser est aussi ce qui fait de l'individu un malade (et non un être humain qui vit des émotions complexes et qui en souffre) et qui transforme du coup le sujet en objet. Mais surtout, ils lui ont véritablement forgé une maladie mentale. J'appelle cela une maladie mentale institutionnalisée, un vrai cercle vicieux! Il parlait de l'évolution normale de sa maladie, cette normalité de l'évolution relève évidemment de la manière dont les patients sont traités (enfermement, médications, traitement général). J'ai pu observer tout ce "mal nécessaire" en détails. Il faut être bien entouré et TRÈS vigilant, poser beaucoup de questions, regarder les interférences entre les différents médicaments. Le cerveau recèle plus d'inconnu pour l'humain que l'univers! Le savoir du psychiatre est très limité, la sensibilité à l'autre est le meilleur "savoir" que l'on peut avoir pour aider quelqu'un dans ce lourd processus.

Petite remarque : faire attention, la psychanalyse n'est aucunement liée à la psychiatrie. Ce sont deux choses bien différentes, voire radicalement opposées!!!

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