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Etat chronique de poésie 826

Publié le 27 février 2010 par Xavierlaine081

826

Ils étaient là à se dandiner d’un pied sur l’autre.

Très courageux tant que la porte ne s’était pas ouverte.

Mais après…

Par quoi on commence ?

Il sort un papier de sa poche, anone en bredouillant sa question.

Je souris de cette gaucherie… Si longtemps je me suis senti ainsi : gauche !

Les mots s’agencent sans hésitation. Ai-je répondu ?

Les yeux quittent le papier, s’accrochent avec désespoir aux étagères, aux livres, aux objets.

Ils cherchent une référence, quelque chose de connu dans cet espace inhabituel.

Ah ! Harry Potter, vous l’avez lu ?

Raté, c’est justement une des rares écritures qui n’enclenche pas ma passion, celle de ma femme oui, la mienne, non…

Ah ! Et la musique, vous pourriez nous jouer un petit air de guitare ?

Bé non, voyez, mes guitares prennent la poussière : pas le temps d’y toucher, juste de leur parler parce qu’elles me suivent, depuis tant d’années, comme mes livres d’ailleurs. Ils m’ont toujours suivi. J’ai même eu une période sans domicile, mais ils étaient là, sagement rangés dans leurs cartons. Ils ne m’ont jamais quitté, ni eux, ni mes multiples carnets d’écritures…

Les yeux s’arrêtent sur un tampon buvard. C’est quoi ? Un tampon buvard…

Ah !Vous faites de la calligraphie. Oui et non, mais ça m’arrive…

Et vous faites de la sculpture. Ce qui est là, entre deux bouquins, c’est vous qui l’avez fait ?

Oui, ce sont des rescapées. Je ne suis jamais satisfait de ces choses qui sortent de mes mains, alors je détruits tout. Tout retourne à la glaise originelle, toujours…

C’est quoi qui vous a invité à lire ?

Les ruines des temps antiques de mon enfance, et puis mes petits copains de classe. Nous étions tous de pays différents, de croyances diverses, mais nous étions ensemble…

Vous vous identifiez à des personnages de romans ?

J’ai été Robin des bois, Arthur, Ivanoé, j’ai mené les enquêtes du club des cinq, et puis j’ai grandi. Aujourd’hui je regarde comment l’auteur parle des caractères, évoque un physique, décrit un paysage… Et je voyage, sans quitter mon bureau…

Je lis un passage tiré au hasard de Regain, Giono de sa tombe me surveille, son esprit encore vif erre sur les pentes de vraies richesses, en sa tour de guet du Paraïs :

« Ce matin, c’est le grand gel et le silence. C’est le silence, mais le vent n’est pas bien mort ; il ondule encore un peu ; il bat encore un peu de la queue contre le ciel dur. Il n’y a pas encore de soleil. Le ciel est vide ; le ciel est tout gelé comme un linge étendu.

Il y a du feu chez Panturle. Il se lève au blanc de l’aube. Il est là, debout, devant l’âtre, à regarder les flammes bourrues qui galopent sur place à travers des ramées d’oliviers sèches. Il prend le chaudron aux pommes de terre. De l’eau et des pommes de terre c’est, tout à la fois, la soupe, le fricot et le pain.

Le feu d’oliviers, c’est bon parce que ça prend vite mais c’est tout juste comme un poulain, ça danse en beauté sans penser au travail. Comme la flamme indocile se cabre contre le chaudron, Panturle la mate en tapant sur les braises avec le plat de sa main dure comme de la vieille couenne.

La main en l’air pour un dernier coup, il dit à son feu :

« Ah, tu as fini ? » […] »

L’autre me regarde : ben quoi, il fait sa soupe !

C’est vrai, il fait sa soupe, mais pour que tu le voies faire, pour que l’image se fixe dans ton regard, quel subtilité de langage aura été nécessaire !

Ils repartent. Ils ont peut-être même raté un cours à cause de moi. Ils sont heureux. Ils me remercient. Je reste là, étonné, sonné. Ma journée va se poursuivre dans les fumerolles de ce volcan un instant entrouvert, au bord de cette absurdité : lire et écrire… Quelle vanité !

Manosque, 27 janvier 2010

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