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“Shutter Island”, l’île noire

Par Kub3

Et de quatre pour Martin Scorsese et Leonardo DiCaprio ! Après Gangs of New York, Aviator et Les Infiltrés, les deux compères se retrouvent avec l’adaptation d’un roman de Dennis Lehane. Loin du classique blockbuster hollywoodien en forme de thriller policier suggéré par les trailers, Shutter Island surprend à plus d’un titre. Extrêmement noir, obsédant et tourmenté, le film brouille les pistes et expérimente le drame psychanalytique… Un “terrain de jeu” sur lequel Scorsese évolue comme un fou.

“Shutter Island”, l’île noire

Vent fort, brume épaisse, mer houleuse… Sur le bateau qui transporte le marshall Teddy Daniels (Leonardo DiCaprio) et son acolyte Chuck Aule (Mark Ruffalo) vers Shutter Island, le malaise est immédiat. Les deux hommes n’ont pas encore débarqué que la tension est déjà palpable. Très rapidement, Martin Scorsese jette le trouble, déstabilisant l’homogénéité du montage avec une accumulation de flashbacks, de discrets faux raccords et une musique au volume inhabituellement haut. Erreur de réalisation ? Certainement pas… La tension esthétique trouve rapidement son paroxysme dès l’arrivée des deux détectives sur l’île : un impressionnant plan aérien, souligné par les timbres atonaux de la 3ème symphonie de Penderecki, achève de créer un climat d’oppression jusqu’aux grilles de l’hôpital psychiatrique. Le cauchemar n’en est qu’à ses débuts, mais le ton est donné.

En prenant alors comme point de départ l’enquête sur la disparition d’une patiente de l’île (à la sauce Mystère de la Chambre Jaune), le film annonce logiquement une sombre enquête policière en huis clos… Première fausse piste d’un scénario diabolique et totalement manipulateur. Car si enquête il y a, elle est d’une toute autre nature, révélée après de nombreux méandres narratifs lors du fantastique retournement de situation de la dernière demi-heure. Autant donc être clair : Shutter Island est le contraire absolu du divertissement facile de fin de soirée. Cette véritable expérience cinématographique, éprouvante pour les nerfs comme pour le cerveau, en rebutera plus d’un.

A partir de l’histoire originale de Dennis Lehane, Martin Scorsese s’en donne à cœur joie pour développer son propre univers. Hanté par la mort de sa femme, le marshall Teddy Daniels est ainsi un personnage typiquement scorsesien, entre obsession vengeresse (comme celle d’Amsterdam dans Gangs of New York), et délire schizophrène (tel Howard Hugues dans Aviator, ou encore les héros des Infiltrés). DiCaprio, génial de justesse, porte à lui seul toute l’intensité dramatique du film.

Pour le reste, la mise en scène peut, souvent à juste titre, paraître trop démonstrative et d’une lourdeur accablante, à l’image de nombreux flashbacks répétitifs. Mais même s’il stabilote au fluo les moments-clés du récit et s’égare parfois dans d’obscures explications interminables, Scorsese laisse son film ouvert à de multiples interrogations. L’apparence parfois chaotique de l’ensemble, loin d’être un réel défaut, adopte le point de vue du personnage incarné par DiCaprio. Ce choix d’une caméra subjective est donc totalement justifié par le scénario, plongeant le spectateur dans la psyché de Teddy Daniels jusqu’à le duper.

Entre un suspense hitchcockien (la référence à Psychose avec la contre-plongée sur un pommeau de douche n’est certainement pas fortuite) et une exploration psychanalytique que n’aurait pas renié David Lynch, Scorsese fait de Shutter Island un film très personnel, désenchanté et pessimiste. Une plongée cauchemardesque d’une grande maîtrise.

“Shutter Island”, l’île noire

En salles le 24 février 2010

Crédits photos : © Paramount Pictures France

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