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Carnets de déroute, suite

Publié le 16 novembre 2007 par Bertrand Gillet
Il avait tout d’un génie, remarque d’une froide et apparente folie, constat si improbable que je le psalmodiais intérieurement pendant l’éternité d’une minute.
- Mon nom est Sandoz, susurra-t-il avec un accent vaguement oriental.
Ok, je dois rêver, je suis passablement bourré, extenué, tout cela n’est qu’un mauvais rêve, ma tête n’est qu’un joyeux shaker, cocktail de souvenirs, d’impressions qui se bousculent et le bonhomme ou le génie enfin, merdre, peu importe, tout cela en fait partie.  J’avais l’affreux sentiment de parler comme Syd Barrett chantait, prolongement décousu de mots trouvés je ne sais où. Sous mes oreilles ébahies, Sandoz déballa son curriculum vitae et je compris alors que j’avais affaire à un authentique génie diplômé pouvant exaucer le moindre de mes vœux. J’étais stupéfait par ma découverte, mais également saisi par un effroi profond, imaginez que tout ceci ne soit pas réel et qu’un passant me croise, il verrait un jeune homme quasi ivre mort, balbutiant une vague conversation avec une bouteille de bière vide, imaginez la scène, le grotesque de la situation, je suis un homme honorable et respectueux, j’ai un travail et une vie de famille, je ne voudrais pas finir sur une vidéo envoyée sur le net et partagée avec le monde entier. Bon, reprenons nos esprits, Sandoz semblait bien réel et me le prouva d’un claquement de doigt. Un solo de guitare électrique déchira le silence noir, puis ce fut le tour de la basse et de la batterie, il ne s’agissait pas d’une musique s’échappant d’une fenêtre mais de l’un des morceaux que jouait Neïmo à ce moment même et lorsque je vis un visage ensommeillé et ulcéré surgir d’un balcon, je dus me résoudre à l’évidence : Sandoz n’était pas le produit artificiel de mon subconscient vaguement altéré par toutes les substances illicites ingurgitées depuis. Au loin, on entendit une sirène de police couiner et j’en conclus qu’il fallait déguerpir au plus vite. De retour à la maison, je conservais précieusement la bouteille magique quand l’ayant malencontreusement effleurée, Sandoz apparut à nouveau, réitérant son éternelle proposition que je dus étouffer, de peur d’éveiller madame ; ma nana n’apprécierait que très de voir débarquer à l’improviste un troisième larron, quand bien posséderait-il un tel pouvoir, les femmes sont des créatures dont le pragmatisme peut parfois vous plonger dans des états de questionnements perpétuels. Je songeai déjà aux possibilités nouvelles qui s’offraient à moi, pouvoir changer le cour de ma vie, interférer dans l’ordre établi par Dieu en personne, hé divin barbu, je vais foutre un sacré bordel tel que tu seras obligé de revoir ta copie en matière de genèse et autre Création. Cependant, il y avait un  hic, non deux, merde, comment vous dire que je commençais juste à dessaouler… Petit détail cocasse, Sandoz n’était ce que l’on peut raisonnablement appeler un génie multicarte : il était spécialisé dans le vœu de forme et d’inspiration musicale. Toutes ces folles révélations occupaient, telles des sans papiers, mes pensées. Je souhaitais plus que quiconque oublier ce cauchemar rocambolesque et dans sa géniale mansuétude, Sandoz me prit aux mots. Je sombrais alors dans un sommeil profond et rassurant.

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