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Malcolm Lowry, "Merci infiniment", Allia

Publié le 28 février 2010 par Irigoyen
Malcolm Lowry, "Merci infiniment", Allia

Je parlais, dans une chronique précédente, de l’intelligente démarche entreprise par la maison Galaade d’éditer Hirbat-Hiza de Yizhar Smilansky. Je pourrais tout aussi bien saluer celle d’Allia dirigée par Gérard Berréby qui nous propose la lecture de Merci infiniment de Malcolm Lowry.

Pour comprendre de quoi il s’agit, relisons le contexte historique dans lequel s’inscrit ce texte qui est fourni au début du livre :

En 1945, après dix ans de travail, Malcolm Lowry soumet la 4è et ultime version d’Au-dessous du volcan à plusieurs éditeurs, Jonathan Cape figurant en tête de liste puisqu’il avait publié Ultramarine. A l’automne il reçoit une lettre encourageante : un lecteur de la maison d’édition semble avoir remis un compte-rendu positif. Fin 45, Lowry est en vacances au Mexique avec sa femme quand le second courrier de Cape, moins enthousiaste et accompagné d’un rapport de lecture suggérant des coupes drastiques dans le roman. La lettre qui va suivre, rédigée en janvier 1946, est sa réponse.

Epilogue le 6 avril 1946 : Lowry reçoit deux télégrammes annonçant simultanément que son roman est accepté chez Reynal & Hitchcock aux Etats-Unis et chez Cape en Angleterre. Au-dessous paraît des deux côtés de l’Atlantique en 1947. Tel quel, sans coupes.

Lowry va répondre point par point aux critiques émises concernant son roman. On lui dit que le début est ennuyeux, il suggère alors une préface, une présentation. On lui parle de faiblesse de la construction des personnages, il objecte qu’il n’a jamais cherché à la créer. Mais les attaques portent aussi sur la longueur du texte, sur l’étalage sans retenue de l’auteur, sur la couleur mexicaine étalée à grosses pelletées.

En lisant ce texte on a d’abord mal pour Malcolm Lowry. La première « partie » pourrait laisser penser que l’auteur est pris dans une entreprise de mise à nue dont il ne va pas se relever – même si l’on connaît l’épilogue -. Progressivement, le combat change de nature. L’auteur, en démontant chaque critique, montre combien sa démarche est voulue, que rien n’est laissé au hasard. Les arguments massue se retournent contre l’expéditeur. Page après page, l’écrivain prend le dessus. La contre-attaque tourne à la leçon administrée à l’éditeur.

Exemple lorsque Malcolm Lowry se justifie sur la division en douze chapitres :

Douze est un chiffre universel. Pour ne rien dire des douze travaux d’Hercule, une journée se découpe en douze heures, et le livre se consacre également à une seule journée de même que, par incidence, à la question du temps. Il y a aussi douze mois dans une année, et le roman se circonscrit dans une année. Or, le niveau le plus profond du roman voire du poème le rattache au mythe de la Kabbale juive, pour laquelle le chiffre douze est chargé de la plus haute importance symbolique. Ici, le rôle de la Kabbale s’inscrit dans une perspective poétique en ce qu’elle représente l’aspiration spirituelle de l’homme. L’Arbre de Vie, son emblème, est une sorte d’échelle fort complexe, au sommet de laquelle se tient Kether ou Lumière, et qui s’ouvre un peu au-dessus du milieu sur un abîme déplaisant.

Quel bonheur de lire tant d’intelligence et tant de conviction. Bientôt, il ne s’agira plus d’un dialogue avec l’éditeur mais d’un monologue. Un monologue, oui, tant l’écrivain rivalise d’ingéniosité pour administrer à son interlocuteur des uppercuts dévastateurs, sans jamais avoir l’air d’y toucher :

Si ce chapitre nécessite des coupes, celles-ci pourraient-elles être pratiquées avec le discernement susceptible de bonifier non seulement le chapitre mais le livre entier ? 

Précision importante : j’ai lu il y a de nombreuses années Au-dessous du volcan. Même si votre souvenir de ce texte est parcellaire n’ayez aucune inquiétude : Merci infiniment peut se lire de façon totalement indépendante. En ce qui me concerne, je suis fortement tenté de relire la prose lowryenne.

Je parlais en début de chronique du courage de la maison d’éditions Allia. Soumettre Merci infiniment est assez risqué. La démarche peut en effet conduire certains lecteurs à penser que le monde de l’édition dans son entier a bien du mal à apprécier la valeur littéraire d’un ouvrage. Il peut laisser supposer que les arguments rétorqués à un auteur sont nuls et non avenus.

Je vois plutôt ici une démarche de transparence. Non, l’édition n’est pas une science exacte – cela se saurait -. Mais dans cette confrontation il y a de la place pour un débat intelligent, fin. Voyons avant tout la qualité philosophique de ce qui nous est proposé là. Apprécions l’affrontement – démarche qui exige du temps, ce synonyme d’argent, soi-disant – et regrettons que d’autres maisons d’éditions ne prennent pas un peu plus exemple sur cette mise à nue.


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