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Poulet africain...souvenirs !

Par Nickyza

 


cocotte-en-fonte


En Afrique, les enfants sont rois ! Ma sœur et moi profitions allégrement de cet état de fait.

Face aux punitions et fessées administrées par nos parents lorsque nous avions poussé le bouchon un peu trop loin, nous avions vite compris que nos cris et nos pleurs exagérés attireraient aussitôt les boys qui accourraient des cuisines pour nous soustraire à la colère parentale.
Ils s’interposaient pour nous prendre dans leurs bras et les enfants que nous étions savourions cette victoire : nous avions échappé aux foudres de Papa ou Maman qui, finalement, baissaient la garde, amusés par tant de bienveillance. Ils réprimaient un sourire, faisant promettre que « cela ne se reproduise plus car sinon… ! »…et nous nous échappions, soulagées d’avoir évité une fois de plus la punition.

Au service de mes parents depuis de nombreuses années, les boys nous avaient vues naître et en quelque sorte nous leur appartenions un peu. 
Ils ne supportaient pas de nous voir pleurer. Ils cachaient ou réparaient la moindre de nos bêtises de peur que nous ne nous fassions gronder, et comme nous étions loin d’être des anges, ils avaient fort à faire !
 
   Pour accueillir de nouveaux arrivants français sur le sol nigérian, mes parents avaient décidé d’organiser une petite fête et de réunir pour l’occasion quelques amis inconditionnels qui faisaient partie de la communauté des français résidant à Lagos.
Il fut décidé de mettre au menu un énorme poulet aux arachides, un « maffé » amélioré dont Maman avait tous les secrets.
La recette prenait des heures à réaliser ; il fallait couper en petits dés de nombreux légumes et fruits qui composaient les « gnamagnamas » servis dans de multiples petites coupelles et qui servaient d’accompagnement au poulet et à la sauce aux arachides. La sauce aux arachides étant pimentée, les gnamagnamas par leur mélange de « salé-sucré » apportaient un peu de douceur et beaucoup de couleurs.

Maman cuisinait toujours la veille afin que le poulet s’imprègne de toutes les saveurs car « C’est bien meilleur à déguster le lendemain, comme tous les plats mijotés ! » affirmait-elle d’un ton catégorique.
Dès le matin, c’était donc le branle bas de combat dans les cuisines où les boys, « petit boy cuisinier » et « grand boy chef cuisinier », emplis de la confiance que Maman leur témoignait en participant aux opérations, s’activaient avec sérieux, ouvrant grandes leurs oreilles pour mémoriser tous les conseils de préparation. 
C’est que faire un « maffé », ça, ils savaient faire, mais un « maffé amélioré » avec les secrets de « Ma’ame », c’était tout autre chose !
Des cagettes de légumes et de fruits envahissaient les plans de travail. Ma sœur et moi étions mises également à contribution : nous avions la responsabilité des bananes que nous devions couper en fines rondelles. Les boys passaient la chair des noix de coco au robot Moulinex, tranchaient les patates douces, découpaient les oranges en quartiers, les tomates en petits dés, bref, l’effervescence régnait alors que le poulet découpé dorait avec les oignons dans la grande cocotte et que la sauce mitonnée par Maman prenait une teinte orangée grâce à la pâte des arachides délicatement ajoutée.

 Nous étions excitées comme des puces sur le dos du chien au fur et à mesure que la cuisine s’emplissait de senteurs, d’odeurs, de fumets qui nous faisaient tourner raides-dingues tant l’envie de goûter à tout nous tenaillait le ventre. Mais Maman, après nous avoir fait goûté la sauce à plusieurs reprises, - nous en fermions les yeux de délice !- commençait à s’impatienter :
   « Vous goûterez demain ; vous aurez votre part ; ne touchez plus à rien ! On va laisser mijoter encore quelques heures…laisser dormir le poulet et tous les ingrédients toute la nuit dans la sauce et demain ce sera parfait : tendre et parfumé à souhait ! »

Le lendemain matin, après que les fumets nous aient accompagnées jusque dans nos rêves, nous profitions du départ de Maman pour son travail pour nous précipiter dans la cuisine afin de contrôler que le poulet baignait toujours bien dans sa sauce aux arachides. Nous avions bien l’intention de goûter à la sauce afin de vérifier que les saveurs ne s’étaient pas envolées pendant la nuit. Sous les regards bienveillants des boys qui nous soulevèrent le lourd couvercle, nous montâmes chacune sur un tabouret pour nous  pencher sur l’énorme cocotte en fonte, armées d’une cuillère à soupe.
 

Les fumets divins nous sautèrent au nez, à la bouche, et nous ne fîmes pas que de goûter : nous engloutissions des cuillerées et encore des cuillerées de sauce, nous disputant la place, tirant chacune à nous, d’un côté et puis de l’autre, l’imposante cocotte aux doux fumets, jusqu’au moment où … celle-ci, tiraillée et malmenée, glissa du grand fourneau et atterrit parterre, déversant son contenu si précieux.

Cris, stupeur, c’était le drame !
 

Qu’allait dire Maman en rentrant ce soir ? Elle serait hors d’elle et elle aurait raison ! Et surtout, qu’allait-elle servir à ses invités le soir même ?
Les mains sur la bouche, atterrées, nous n’osions même pas imaginer la suite des évènements !

Les boys, tout de suite, constatant l’ampleur des dégâts et le drame imminent, firent ni une ni deux et se mirent au boulot dare-dare, sans réfléchir plus avant ! Il fallait absolument que « Ma’ame » en rentrant ne s’aperçoive de rien !
 
Alors on appela du renfort, branle-bas de combat dans la concession : les femmes, les concubines, les enfants, chacun se vit attribué une tâche urgente ! Marché, -c’est ce qui prit le plus de temps-, épluchage, découpage, mijotage…pas une minute à perdre et surtout suivre à la lettre les ordres de « grand boy chef-cuisinier » qui lui-même n’omettait aucun des conseils de Maman qu’il avait, heureusement, bien enregistrés !

Maman, par chance, était absente toute la journée ce jour-là. Quand elle rentra,  l’ordre et la propreté régnaient dans la cuisine ; les lutins cuisiniers s’étaient envolés et le poulet dormait paisiblement dans sa grande cocotte en fonte, miraculeusement sauvée de la casse.

Le poulet nappé de sa sauce arachides avait eu le temps de mijoter quelques heures, mais quelques heures seulement… il n’avait pas eu le temps nécessaire pour mariner dans sa sauce comme il convenait…
 
Le poulet aux arachides allait-il avoir la saveur qu’en attendait Maman ? L’important était que les invités aient quelque chose à se mettre sous la dent et que Maman ne s’aperçoive pas du drame évité in extremis !
En attendant : motus et bouche cousue ! Nous étions ma sœur et moi très inquiètes du résultat, et nous tremblions en passant à table !

Poulet aux arachides et gnamagnamas


Les invités se régalèrent, félicitèrent Maman pour cette recette originale et délicieuse, et même en redemandèrent.
Après le départ des invités, Maman se tourna vers Papa, plutôt contente d’elle :

— Pas mauvais mon poulet aux arachides, hein ? Je le fais de mieux en mieux, je trouve ! La seule chose, c’est que tout ça manquait un peu de sel…moi qui croyais avoir trop forcé sur la dose…

— Tu es une cuisinière émérite, ma chérie, mais tout le monde le sait déjà ! Il n’y a que toi pour réussir un poulet aux arachides aussi savoureux. C’était succulent comme d’habitude !

Ma sœur et moi avons pouffé de rire en nous enfuyant prestement dans nos chambres.

Nous avions encore une fois échappé à la sentence maternelle, aux punitions et fessées que nous n’aurions pas manqué de recevoir si Maman avait découvert le pot aux roses.
Tout cela aurait pu tourner vinaigre si nos boys chéris n’avaient pas réparé les dégâts des petits diables que nous étions afin de nous protéger de la fureur maternelle.
Depuis, à chaque fois que Maman se mettait aux fourneaux pour cuisiner son fameux poulet aux arachides, nous ne manquions pas ma sœur et moi, d’un air malicieux, de lui rappeler de rajouter du sel, beaucoup de sel.


Rentrés définitivement en France depuis longtemps, nous mangeons encore aujourd’hui, lors des grandes réunions de famille, le poulet aux arachides que Maman assaisonne toujours à la perfection !
 Lorsque l’imposant plat arrive sur la table, c’est une immense bouffée de senteurs et de souvenirs qui nous monte au visage et au cœur.


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