Bartleby et compagnie est une suite de notes de bas de pages. Le corps du texte n'existe pas. C'est bien normal quand il s'agit de dire l'impossibilité d'écrire.
Bartleby, on le sait, est un personnage de Melville, un employé de bureau qui ne lit rien, ne fait rien. Quand on lui demande un récit ou un geste, le plus simple soit-il, il répond invariablement:
- Je préfèrerais ne pas le faire.
Vila-Matas en fait le symbole des écrivains qui renoncent à écrire. Ces gens victimes de « ce mal endémique des lettres contemporaines, cette pulsion négative ou cette attirance envers le néant qui fait que certains créateurs, en dépit (ou peut-être précisément à cause) d'un haut niveau d'exigence littéraire, ne parviennent jamais à écrire; ou bien écrivent un ou deux livres avant de renoncer à l'écriture; ou encore, après avoir mis sans difficulté une œuvre en chantier, se trouvent un jour littéralement paralysés à jamais. ».
Ces personnages abondent dans l'histoire de la littérature. Villa-Matas, les recense par l'entremise de son narrateur, un bossu qui a commis un roman sur l'impossibilité de l'amour 25 ans plus tôt – puis a cessé d'écrire.
Son incroyable érudition sort de toute la littérature mondiale des Barleby en masse. On retrouve par exemple Kafka, Walser, B.Traven, Hofmannsthal, Beckett, Hölderlin, Marbœuf, Rimbaud, Salinger. Mais aussi bien d'autres auteurs dont on n'a jamais entendu parler.
Au point qu'assez rapidement, le doute s'installe. Qui parmi ces écrivains surgis de l'inconnu existe? Qui est une création de Vila-Matas? Quelle citation est correcte, quelle est inventée de toutes pièces?
Impossible, bien entendu de tout vérifier. Vila-Matas nous perd ainsi dans un labyrinthe de papier et de littérarité. Ça ne ressemble à rien. C'est fascinant, érudit, savant, ludique et jubilatoire.
Enrique Vila-Matas, Bartleby et compagnie, Titre 98