Un article qui me re-donne enfin un œil.
Car certaines critiques sont épingles plantées pour consacrer le conventionnel soit disant des œuvres de théâtre, épingles plantées comme par des ennemis à tout ce qui est vivant chez l'acteur, l'auteur. Ils les gardent comme dans un tombeau : Ibsen, Tchekov...
Audrey Tautou, Nora, une alouette prise au piège
Par Armelle Héliot le 24 février 2010 12h15
Article publié dans Le Figaro du 25 février 2010. Nous reviendrons plus tard sur ce spectacle remarquable.
"Dès que le rideau se lève, Nora est là. Comme une poupée figée dans la pénombre, devant un sapin de métal. Mais voici qu'elle s'anime. Dans cette robe bleue à croisillons noirs, magnifique avec sa tournure, ses col et poignets de dentelle et sa jupe entravée d'un savant plissé noué sur le devant, elle ne peut marcher qu'à petits pas, sauts d'oisillon.(Photo de Marcel Hartmann Contour Getty Images) C'est une alouette. Jamais Nora n'aura mieux ressemblé à ce que voit en elle son mari Torvald Helmer (Michel Fau, qui signe la mise en scène), avocat qui vient d'être nommé à la tête d'une banque et se sent enfin rassuré.
Tout, du décor très beau et volontairement étouffant (Bernard Fau) au maquillage très accusé, masque pâle, joues enflammées, yeux charbonneux (Pascale Fau), aux lumières (Joël Fabing), aux costumes (David Belugou) renvoie à un univers expressionniste très âpre. Tous les personnages sont ainsi traités : la bonne (la chanteuse Flore Boixel), Kristine Linde, l'amie malheureuse (Sissi Duparc), le Docteur Rank, amoureux, loyal, fidèle et promis à la mort (Pascal Elso, comme un double de Torvald), Krogstad, (Nicolas Woirion), l'avoué qui fait chanter Nora mais s'apaisera à la fin grâce à l'amour retrouvé de Kristine. Ils n'ont rien de « naturel ». D'abord parce que dans la société que décrit Ibsen (la pièce date de 1878) on est en représentation, et en cela Michel Fau, qui s'appuie sur l'excellente traduction de Terje Sinding, est d'une scrupuleuse fidélité à l'œuvre. Mais il va plus loin, il glisse vers un univers à la Tim Burton, qui angoisse profondément, confusément, comme une sourde menace dont on ne sait pas d'où elle viendra.
Les enfants sont pris dans cette couleur là : raides, étrangement inquiétants, plus adultes que leur mère, des petits loups qui n'aiment pas jouer.
Le rythme de la représentation est excellent. Trois actes en deux heures denses, comme le drame qui se joue. La direction d'acteurs est remarquable. (Ci-dessus une autre photo mais que nous ne pouvons pas agrandir plus pixels obligent, toujours de Marcel Hartmann pour Contour Getty Images). Sissi Duparc a le douloureux moelleux qui convient, Nicolas Woirion est très impressionnant et humain à la fois, Pascal Elso a la noblesse blessée du Docteur, il est fin, subtil. Comme l'est, Michel Fau, maîtrisant toutes les nuances d'un personnage qui n'est pas sympathique mais à qui il apporte un supplément d'âme.
En scène deux heures durant, Audrey Tautou possède une présence forte et des moyens. La voix est très bien placée, ferme et elle ose tout ce que lui demande le metteur en scène, jusqu'aux piaillements d'alouette blessée. C'est un travail remarquable d'intelligence et d'instinct. Bouleversant et surtout : moderne !
Théâtre de la Madeleine : 01 42 65 07 09.
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Entretien / La Terrasse
Michel Fau
"Nora ou le scandale d’une femme qui s’échappe du factice bonheur bourgeois
En 1879, Une maison de poupée d’Ibsen retentit comme une cinglante provocation dans la bonne société norvégienne, toute roidie dans ses mœurs bourgeoises. Nora, icône de la délicieuse femme choyée, osait l’inconcevable : briser les conventions en quittant mari et enfants. Aux côtés d’Audrey Tautou, l’acteur et metteur en scène Michel Fau fait résonner tout le sens de cet acte scandaleux.
Qui est Nora ?
Michel Fau : Une femme bourgeoise, qui forme un couple modèle en apparence et va brutalement comprendre qu’elle a construit toute son existence sur le mensonge et l’artifice. Car exposée à de graves poursuites pour avoir fait un faux en écriture par amour, elle découvre l’égoïsme pathétique et l’arrivisme sournois de son mari… Tout s’écroule. Insouciante voire inconsciente, enfantine parfois, elle réagit sur le vif, avec franchise. Quand elle voit le drame qui la guette, elle perd pieds, détruit tout et s’en va, abandonnant ses enfants, non pas pour vivre sa vie mais simplement parce qu’elle ne peut plus continuer ainsi. Cette pièce écrite en 1879 fascine toujours parce que la société a changé, mais pas les rapports humains, ni les codes de la bourgeoisie dont le rapport à l’argent, la position sociale, les apparences constituent encore des piliers.
« Pour l’écrivain norvégien, la personnalité doit pouvoir s’épanouir dans sa vérité intime, au-delà du jeu social. »
Nora réalise qu’elle vit dans un monde de personnages et non de personnes...
M. F. : Elle prend conscience qu’elle vit de faux-semblants et surtout qu’elle a toujours été niée pour ce qu’elle était en tant que personne.
Ibsen ne se revendiquait pas féministe, alors qu’on lui prête souvent cet étendard. Comment aborde-t-il la question de la condition féminine ?
M. F. : Ainsi qu’il l’explique lui-même, il a défendu les droits de la femme en tant qu’humain, dénonçant la « double morale » en vigueur, c’est-à-dire l’une fort indulgente pour l’homme, l’autre d’une rigueur inflexible pour la femme mariée, confinée dans son petit intérieur. Pour lui, cet état inscrit dans les mœurs et le système légal empêche la femme d’être elle-même, car elle reste toujours jugée à l’aune du point de vue masculin. Mais la critique d’Ibsen dépasse le féminisme et vise la liberté de l’être corseté dans les rets d’une société où la futilité et la superficialité deviennent des modes de vie. Or, pour l’écrivain norvégien, la personnalité doit pouvoir s’épanouir dans sa vérité intime, au-delà du jeu social. Sa vision du monde telle qu’elle transparaît à travers son œuvre est très noire. « La vie n'est pas triste – la vie est ridicule – et ça, c'est insupportable ! » écrivait-il. Pourtant, il croit à la possibilité du « miracle », à la quête de transcendance, d’amour vrai et de sincérité. Maison de poupée traite moins de la libération de la femme que de la scandaleuse destruction des conventions bourgeoises.
D’où votre parti pris radical de réimprimer la marque de cette époque dans les décors et les costumes ?
M. F. : La société et l’esthétique bourgeoise de la fin du 19ème siècle racontent beaucoup de ces existences engoncées, étouffées. Les costumes d’alors, avec les corsets et postiches, disent bien les corps empêchés. Je ne cherche pas la reconstitution historique mais plutôt à rêver cette époque. La pièce oscille entre naturalisme et symbolisme, frôle presque le cauchemar. Je ne crois pas qu’il faille moderniser pour que les spectateurs se reconnaissent. Il me semble plus intéressant au contraire de montrer le temps passé et que certaines des questions qui se posaient alors perdurent aujourd’hui.
Audrey Tautou est votre Nora. Comment l’avez-vous rencontrée ?
M. F. : Je la connais depuis ses premiers pas sur les planches avec des amis du Cours Florent. Depuis, j’ai suivi son itinéraire au cinéma, elle mon parcours en scène. Je la poussais pour qu’elle revienne au théâtre. Le rôle de Nora est taillé pour elle. Comédienne intelligente, secrète, elle n’a pas d’œillères, ni d’idées préconçues. Elle sait lire une œuvre, se poser les questions pertinentes. Elle fait confiance à la pièce et construit son personnage au fil du travail, de l’exploration du texte. Femme enfant, séductrice, mère… Nora passe par un large éventail de sentiments, qu’Audrey Tautou traverse avec finesse et virtuosité. Elle peut être insolente, drôle, égarée, tragique. Et puis, c’est une formidable partenaire ! Je ne sais pas jouer tout seul.
Vous-même jouez Torvald, mari de Nora. N’est-ce pas difficile d’être sur scène et hors scène ?
M. F. : Au contraire, l’angoisse du metteur en scène est balayée par le plaisir de l’acteur et inversement. Mon rôle consiste à accompagner les acteurs dans leur traversée du texte. Pour cela, il faut savoir comment fonctionne un comédien…
Entretien réalisé par Gwénola David
Maison de poupée, d’Henrik Ibsen, traduction de Terje Sinding, mise en scène de Michel Fau, à partir du 16 février 2010, à 21h, relâche dimanche jusqu’au 26 mai et lundi, matinées du 16 février au 26 mai le samedi à 18h et à partir du 27 mai le dimanche à 15h, au Théâtre de la Madeleine, 19 rue de Surène, 75008 Paris. Rés. 01 42 65 07 09 ou 0 892 68 36 22 (0.34€/min) et www.theatremadeleine.com."