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Journal d'absence, de Jacques Josse (lecture d'Antoine Emaz)

Par Florence Trocmé

Josse, journal d'absence
 Le monde de Jacques Josse est à la fois humain et hanté, peut-être humain parce que hanté. Les vivants sont ceux qui restent et témoignent, parlent, dans les bars ou dans les livres, pour ceux qui ont été des hommes sans voix, des trajets de vies muettes dans un espace fermé, même s’il y a la mer toujours pas loin. On entre dans un monde non pas angoissant mais oppressant : les ombres densifient le brouillard, se diluent dans l’ « averse de grésil ».Etrange magie grise de cette œuvre peuplée de figures finies qui passent dans les pages : « Paul Vatine (…) emporté par une vague au large des Açores », ou Eugène qui finira en « corps sec et décharné entre plafond et toile cirée »… On connaissait la fraternité de Josse avec la vie écrasée des humbles, mais dans ce livre, la faux se rapproche, tout le « journal d’absence » est centrée sur « la disparue ». Et l’auteur joue cartes sur table par la dédicace liminaire : « In memoriam Françoise Josse 1959 – 2004 ». De même pour les dates : « Il y avait tout juste deux semaines qu’elle était partie », et la mention en fin de livre : « (7 mars – 21 mars 2004) ».
   
S’agit-t-il d’auto-fiction ? Non. D’un journal intime ? Non plus. Josse ne triche pas, mais il fait tout l’effort de distance, d’écriture de l’expérience. Tout est parfaitement lisible, mais tout est mis en pages de façon presque froide, volontariste. Pas de dates quotidiennes scandant le « journal », seulement des séquences de prose liées/séparées par une esperluette. La recherche de la « disparue » alterne avec les souvenirs, les échos de mémoire, les racontars de bar, l’actualité qui vient dissoner avec les attentats de Madrid… Et surtout le passage au « il », sans doute la marque la plus efficace de cette volonté de distance entre auteur et expérience vécue. Sans doute aussi, en désespoir de cause, la seule façon de « raconter ». Devenir comme étranger à soi-même pour mieux recueillir, accueillir l’autre et « glisser cette ombre entre les draps de sa mémoire ». Inutile de poser ici la question d’une distinction entre poésie et récit : ce qui est donné à lire, c’est une tension entre écrire et vivre, personnellement résolue. Et que demander de plus à un poète ?
   
par Antoine Emaz
   
   
Jacques Josse
Journal d’absence-
Ed. Apogée-28 pages – 9 €
Illustrations de Georges Le Bayon


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