L'actualité d'Alain Mabanckou tient en deux livres parus le mois dernier: la réédition de Black bazar, dont je vous ai parlé il y a quelques jours, et sur lequel je ne reviendrai donc pas; et une nouvelle Anthologie: six poètes d'Afrique francophone que je n'ai pas encore vue. La venue de l'écrivain à la Foire du Livre de Bruxelles m'a fourni l'occasion de lui poser quelques questions sur cet ouvrage.
Il est impossible de ne pas faire le rapprochement entre ton anthologie et celle de Senghor, parue il y a 62 ans. Ce livre a-t-il été conçu par rapport à l'Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de langue française?
En réalité je n'ai pas du tout pensé à cette Anthologie qui jetait les bases littéraires de la négritude. Les textes rassemblés chez Senghor étaient destinés à montrer la richesse de la création littéraire (poétique) du monde "négro-africain". Moi j'ai souhaité tout simplement salué le génie d'auteurs ayant marqué la poésie d'expression française dans l'espace francophone d'Afrique noire. Il n'y a aucune intention militante, je privilégie le pouvoir du texte et de l'émotion. C'est pour cela que Senghor est retenu d'ailleurs dans mon Anthologie.
Six poètes pour un continent, n'est-ce pas un peu court?
C'est le principe de cette collection - en général c'est 5 poètes -, j'ai donc été ferme pour que Points-Seuil accepte un sixième poète. Sans doute parce que je n'aime pas les nombres impairs! Et puis il fallait choisir les plus grands poètes. Je crois que ceux qui sont retenus ne font pas grincer les dents puisqu'ils sont considérés désormais comme des classiques et sont étudiés dans les écoles primaires et les lycées: Senghor, Rabemananjara, Birago Diop, Bernard Dadié, Tchicay U Tam'si et Tati-Loutard.
Y a-t-il, en Afrique, ou venues d'Afrique, des nouvelles voix que tu aimerais aussi faire entendre?
Dans mon introduction à cette Anthologie j'ai esquissé quelques pistes pour l'avenir. Le paysage poétique francophone d'Afrique noire est aujourd'hui dominé par les poètes de talent comme Gabriel Okoundji, Tanella Boni, Véronique Tadjo ou encore Léopold Congo-Mbemba. On peut déplorer certaines œuvres qui sont sans originalité et encore crispées par un asservissement de la conscience. Ces auteurs écrivent des vers, ce sont des "versificateurs", pas des poètes. Ils sont comme des perroquets qui répètent les maladresses de la poésie française. Leur "poésie" est plus de l'ordre du oui-dire, de la capitulation, de la littérature à quatre pattes et de l'écho alors que nous attendons la tourmente jaillie de la vie de l'auteur. C'est cette impression désagréable que me donne la lecture des textes de l'auteur tchadien Nimrod, hélas!