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Platon dans la librairie

Par Desheuresoisives

Il y a, dans les Vies illustres de Diogène Laërce, un passage que j’aime beaucoup concernant le philosophe Philolaüs. D’après Diogène, en effet, Platon aurait payé « quarante mines d’Alexandrie » (ce qui, pour l’époque, était une somme considérable) pour acquérir un traité de ce philosophe.

L’intérêt de ce passage réside, à mon sens, dans plusieurs points.

D’une part, parce qu’il montre qu’un auteur obscur peut avoir une influence déterminante sur l’un des plus grands penseurs de l’humanité (Platon, toujours d’après Diogène – mais on trouve également l’anecdote chez Aulu-Gelle – composa son Timée d’après ce livre acheté si cher). Mais également parce qu’il met en avant le rapport qu’il y a entre l’objet et la pensée. Où serions-nous sans les livres ? Et, a fortiori, où serions-nous sans les libraires ?

Imaginons un instant que la librairie antique dans laquelle le vieux Platon est entré pour acheter son volume de Philolaüs – cette librairie dans laquelle il s’est arrêté, a fureté, dont il a arpenté les rayons (et tant pis pour les anachronismes) – ait été, pour d’obscures raisons, obligée de fermer ses portes. Eh bien voilà que l’humanité aurait été privée du Timée !

Les librairies sont un lieu d’échanges intellectuels, un lieu du foisonnement de la pensée, un lieu de l’élargissement de l’esprit. Et une librairie qui ferme est toujours un recul de l’intelligence.

Platon dans la librairie

Mon histoire platonicienne, vous le voyez, n’est qu’un prétexte pour parler de mon amour des librairies – ces lieux de convivialité et de culture sans lesquels une ville n’est pas vraiment une ville. Mais j’aimerais surtout attirer l’attention sur le cas du Verger des Muses, la sympathique librairie de Bourg-la-Reine en prise, depuis la rentrée à de nombreuses difficultés.

Devant la menace de voir leur ville privée de sa librairie, les habitants de Bourg-la-Reine ont mis en place ce qu’il est juste d’appeler un « mouvement de résistance ». En l’espace de quelques jours, près de 3000 signatures ont été recueillies contre la fermeture des lieux. Voilà qui, personnellement, me donne beaucoup d’espoir : qu’autant de gens croient en une utilité des livres et de la littérature, et se battent pour conserver sa place dans leur vie.

Je vous enjoins donc tous à signer la pétition pour conserver le Verger des Muses (http://www.mesopinions.com/detail-petition.php?ID_PETITION=669f3a9ce7b4e8bb3e16b7ed0c00f613) et à visiter les sites Internet mis en place contre la fermeture :

http://www.librairieblr.org/blog/

http://conserverlevergerdesmuses.blogspot.com/

Le Verger des Muses est une librairie formidable, qui n’a pas peur d’assumer ses choix et de toujours se positionner en marge des grandes surfaces culturelles, en marge des évidences, des facilités et des intolérances intellectuelles du monde des géants de l’édition. Une librairie, en somme, dans laquelle Platon aurait trouvé ce qu’il cherchait.

Grâce à un personnel compétent et (ce qui ne va pas toujours de pair) extraordinairement sympathique, cette petite librairie s’impose comme un lieu de résistance – un dernier bastion. Ne le laissons pas s’écrouler.

Enfin, pour finir, j’aimerais rappeler une autre vieille histoire – celle de la République. Dans ce long traité, Platon tente de reconstruire une société idéale, une société qui donnerait la priorité à l’âme sur le corps. Une société dans laquelle ce ne serait pas l’appartenance physique ou générique qui définirait l’être humain, mais son esprit, son éducation, sa capacité à réfléchir, à se connaître soi-même.

Voir une énième librairie fermer, être remplacée par un énième magasin de vêtements comme ce fut le cas il y a quelques années pour la librairie des PUF sur la Place de la Sorbonne, c’est, plus encore que s’éloigner de l’idéal platonicien, perdre, chacun, un peu de son âme.



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