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Kaddish pour l'enfant qui ne naîtra pas; Imre Kertész

Par Sylvielectures
Kaddish pour l'enfant qui ne naîtra pas; Imre Kertész"Kaddish pour l'enfant qui ne naîtra pas d'Imre Kertész. Celui-ci est un vrai chef d'œuvre qui laisse une marque presque indélébile tant sa lecture est intense ..." me disait Nanne en commentaire de mon challenge ABC...

C'est en effet une lecture qui nous travaille.
Ce livre s'insère au centre d'une œuvre dense, implacable, et qui forme une trilogie avec Être sans destin et Le refus.
Écrivain qui creuse sa tombe dans les nuages avec pour outil son stylo, il s'adresse ici à l'enfant qui ne naîtra pas, à celui qui symbolise la liquidation de son existence dans un NON proféré par une force qui le dépasse.L'auteur revient sur ce NON, qui contient toute l'histoire de cet enfant "fillette aux yeux bruns, le nez couvert de pâles taches de rousseur " ou « garçon têtu avec des yeux joyeux et durs comme des cailloux gris-bleu »et qu'il a opposé au désir de sa femme.Dans un monologue intérieur qui semble être d'une seule traite, le texte nous donne à lire comme l'émergence de la pensée au cœur du travail du ressassement.Les souvenirs se superposent par strates et construisent un chemin d'écriture, l'échafaudage d'une "métaphysique du renoncement", le travail d'un suicide.Mu dans la vie ("chemin aveugle") par des instincts plus forts que la volonté, le héros (écrivain) choisit l'écriture, ("chemin lucide"), et l'auteur met à jour la distance entre la vie et l'écriture comme un choix qui s'est imposé à lui : écrire ou vivre...Survivant, il est poussé à refuser de survivre dans sa descendance par une force dont il ne prend conscience que bien plus tard mais qui est advenue dans ce NON et s'est déployée dans l'acharnement à l'écriture.
..." et je suis toujours là, bien que je ne sache pas pourquoi, par hasard, de la même façon que je suis né, je ne suis pas plus complice de ma survie que de ma venue au monde, bon d'accord, la survie recèle un tout petit peu plus de honte, surtout si on a fait tout son possible pour survivre : mais c'est tout, rien de plus, je n'ai pas pu donner dans l'apitoiement général de la survie et la démagogie bravache, mon dieu ! on est de toute façon
un peu coupable, c'est tout, j'ai survécu donc je suis, pensais-je, non, je ne pensais rien, simplement j'étais, tout simplement comme un survivant...
...qui ne sent pas la nécessité de justifier sa survie, d'assigner un but à sa survie, oui, de transformer sa survie en un triomphe...

...réel, le seul possible qui serait -aurait été-, la survie prolongée et multipliée de cette existence, et donc de la mienne dans mes descendants, de mon descendant, en toi, non, je n'y pensais pas, je ne pensais pas devoir y penser, jusqu'à ce que cela me tombe dessus, une nuit,
et que la question se dresse devant moi...

...La question, oui, aurais-tu été
une petite fille aux yeux sombres ? le nez couvert de pâles taches de rousseur ? ou bien un garçon têtu ? avec des yeux joyeux et durs comme des cailloux gris-bleu ? oui, ma vie considérée comme possibilité de ton existence, ou tout simplement considérée, sévèrement, tristement, sans colère ni espoir, comme on considère un objet."
..."Il m'a fallu cette nuit pour voir enfin dans le noir, pour voir entre autres la nature de mon travail, qui, au fond, ne consiste qu'à creuser, à continuer de creuser la tombe que d'autres ont commencé à creuser pour moi dans l'air, puis, tout simplement parce qu'il n'ont pas eu le temps de terminer, dans leur hâte et même sans ironie diabolique d'aucune sorte, non, juste comme ça, sans bruit, sans regarder autour d'eux, ils m'ont fourré l'outil dans les mains et ils m'ont planté là pour que je finisse moi même le travail qu'ils avaient commencé. "
Ce soliloque difficile et exigeant traque inexorablement une vérité intérieure.
C'est un texte qui marque par sa forme et son propos.
Des images fortes sont distillées et répétées régulièrement et semblent venir soutenir les phrases tenues d'extirper coûte que coûte un brin de lueur du magma noir de la douleur.

Je veux retenir de ce livre une phrase :
"Ce qui est réellement irrationnel et qui n'a vraiment pas d'explication, ce n'est pas le mal, au contraire : c'est le bien."
Elle est illustrée par l' histoire de Monsieur l'instituteur p : 57-60.

Le discours de Stockholm de l'auteur, prix Nobel en 2002,
Lire l'entretien avec l'auteur sur mouvements,
Un bel article sur le livre et son adaptation pour le théâtre ici,
des liens vers deux mises en scène du texte ,
Une belle note de lecture de Claude Boukobza, une autre, fouillée et intéressante d' Yvette Reynaud-Kherlakian, sur e-litterature,
Une chronique bien menée de Luxiotte,
de nombreux billets sur critiques Libres,
"Probablement l’un des textes les plus prenants qu'il m'ait été donné de lire. " écrit Julien Gros-Burdet sur Les Notandusiennes,
Julip nous parle aussi de sa lecture.

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