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Un statut pour l'artiste sonore ?

Publié le 11 mars 2010 par Desartsonnants

Marquage ou démarquage ?


Il est déjà intéressant de regarder de plus près cette appellation d'artiste sonore. Est-ce un artiste qui sonne quand on le secoue, un homme orchestre au costume constellé de grelots, un pétomane ou autre phénomène de cabaret capable de réciter l'alphabet en une longue éructation ? Ne voyez là rien de diffamant dans mon interrogation qui, ironiquement, se contente de prendre les termes artiste sonore au pied de la lettre, sans plus de mal y penser envers les créateurs sonores (notez l'esquive linguistique à dessein), que je cherche plutôt à défendre contre vent et marées.


Toujours est-il que nombre de signatures affichent, à l'égal des sound artists anglo-saxons, des artistes sonores.
Certains vont même jusqu'à définitivement ôter l'habit de musicien ou de compositeur pour endosser celui d'artiste sonore. Mais pourquoi ce nouveau vocable, cette profession émergente, ou ce glissement sémantique ?
Veut-on se démarquer définitivement d'une pratique musicale qui serait jugée trop conventionnelle, trop sage, voire "réac" pour certains jusque-boutistes ou mélancoliques d'une l'avant-garde révolue ?
Veut-on, dans un souci de clarification, et d'étiquetage plus judicieux, créer une nouvelle case où rentreraient les créateurs radiophoniques, designers sonores (eux aussi !), poètes sonores (encore !)... ?

Il est vrai, et je l'ai noté déjà à plusieurs reprises que les nouvelles technologies ayant abattu pas mal de frontières, les artistes se sont aventurés dans des brèches transdiciplinaires, quitte à s'y égarer, et parfois à ne plus savoir au juste à quelles chapelles et saints se vouer. Il peut être vrai, si l'on veut pointer une dérive, que les arts sonores connaissent aujourd'hui un regain d'intérêt, si ce n'est une reconnaissance leur procurant ainsi une certaine aura, ce qui peut attirer des artistes opportunistes à occuper le terrain avant qu'il ne devienne trop encombré. Mais peut-être aussi que des artistes, et c'est là tout ce que l'on pourrait souhaiter, se sentent très bien dans la peau d'un artiste sonore car finalement, ils composent plus d'espaces sonores, textuels, environnementaux, que de la musique à proprement parler. Et puis il y a toutes ces frontières si peu étanches, et mouvantes, qui font que l'on glisse parfois s'en même s'en apercevoir, de l'électro expérimentale à la plastique sonore ou à la performance de poésie action, ou à l'acousmatique installée; ou vers d'autres hybridations se chevauchant sans vergogne.

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image©Ramu Aravindan - Rajivan Ayyappan Indian sound artist

Parcours et multiplicité


Bien que j'en aie régulièrement parlé, on peut rappeler la multiplicité qui cependant tente d'agréger, de fédérer le genre art sonore et ses artistes. Multiplicité des sources ou des pratiques, dans une vision "historique", qui souligne des parcours issus du rock, de la pop, des mouvements funky, des passages via l'industriel, le noisy, ou des parcours issus des mondes de la musique contemporaine  "classique", tant instrumentale qu'électroacoustique, en passant par tous les mixtes possibles, des parcours venant des arts plastiques, de la recherche scientifique, de préoccupations environnementales, de la littérature, des techniques numériques, et j'arrête cet inventaire à la Prévert qui n'est certainement pas exhaustif.


Donc l'artiste sonore œuvre parfois à construire, de façon plus ou moins consciente, des formes de synthèses, ou de nouvelles hybridations de pratiques et d'esthétismes. Dans ces pratiques polyformes, certains se reconnaissent et assument parfaitement leurs parcours, d'autres préférant les enfouir sous des discours tentant de justifier une position de "hors genre autodidacte pur et dur".

UN STATUT POUR L'ARTISTE SONORE ?

Têtes d'affiche et stars sonores ?
C'est une remarque d'un élu d'une commune dans laquelle nous avons invité des artistes sonores qui m'a poussé à me demander ce qu'est réellement une tête d'affiche, ou un artiste sonore star, voire si cette notion existait vraiment. Cet élu nous a en effet demandé pourquoi nous n'invitions pas des têtes d'affiches des arts sonores pour attirer plus de public. Ce à quoi nous avons répondu que nous invitions bien des têtes d'affiche, mais que la taille des affiches concernant les arts sonores n'était pas la même que celles affichées sur les multiplexes de cinémas ou grandes salles de concert.


En effet, si nous avions travaillé autour de la chanson française, ou du cinéma, nous aurions pu inviter quelques têtes d'affiche que beaucoup auraient pu identifier comme de vraies stars, avec leurs cohortes de fans et les autographes arrachés, à condition bien sûr d'en avoir les moyens. Mais supposons que nous ayons invité Paul Panhuysen, Christina Kubisch, ou le regretté Max Neuhaus, qui les aurait reconnus comme des stars des arts sonores, hormis une poignée de connaisseurs officionados férus ? Et pourtant, leurs travaux, installations, performances, sont reconnus dans le monde entier par nombre de grandes galeries et musées, leurs réflexions et écrits font référence, mais assez loin, voire très loin du grand public néanmoins.


Combien connaissent Christian Marclay, Yann Parenthoën, ou Bernard Heidsieck, même de nom ? Dans la sphère même des arts sonores, beaucoup d'artistes, d'institutions voire d'historiens et critiques d'art et commissaires méconnaissent, ou même ignorent les grands courants et les artistes phares de certains pans de la création sonore dont ils ne sont pas spécialistes. Certes, le temps des encyclopédistes utopistes et des savoirs universels a été oh combien relativisé au fil des siècles, mais néanmoins, nous manquons singulièrement de passerelles et de croisements pour comprendre le ou les développements de la création sonore contemporaine. Quant à la fabrique de stars que l'on reconnaîtrait au petit écran et dans la rue...

Marché et professionnalisation


Autre point important, à défaut d'être une star grand public, comment vit, ou survit l'artiste sonore, appelons-le ainsi, dans les méandres d'un marché disparate, ingrat, ou naissant, selon les cas ?
Bien sûr, une étude sociologique importante serait nécessaire pour envisager le nombre de cas particuliers, de statuts, de professions, pour tirer un bilan représentatif des acteurs de la création sonore, mais cependant, la rencontre et les discussions entamées avec nombre d'entre eux m'ont permis d'avoir quelques idées sur des conditions de création, ou de travail comme on dit habituellement. Donc sans prétendre avoir les compétences pour endosser le rôle de sociologue du monde culturel, ou en tous cas sonore, je vous livre ici quelques observations de terrain.

Premier constat, sans dresser un tableau misérabiliste, peu d'artistes vivent de leur seul travail de création sonore. Tout au moins, peu en vivent décemment. Beaucoup sont enseignants dans leur domaines d'activité, au sein d'écoles type Beaux-arts ou autres établissements supérieurs, universités... D'autres sont médiateurs culturels, pigistes dans des revues d'art, ou au mieux commissaires, voire exercent des professions très très éloignées de leur art. Bien sûr, le domaine des arts sonores n'est pas le seul dans ce cas, la littérature, le théâtre, la musique, les arts plastiques, la poésie... souffrent de ces mêmes maux. Parmi les raisons possibles, on peut citer : beaucoup d'artistes et peu de propositions à les produire; certains qui se disent artistes sans en avoir ni l'envergure ni même le minimum de potentiel créatif, au risque de discréditer l'ensemble d'une pratique; des conditions économiques qui ne sont pas franchement favorables à l'épanouissement et au soutien de l'artistique; le fait que l'histoire-même ne retient que quelques élus parmi l'abondance d'artistes, et parfois fort injustement, par la rencontre fortuite d'un collectionneur, mécène ou opérateur culturel averti; un marché encore jeune et hésitant concernant les œuvres sonores, ces dernières étant parfois de facture compliquée à mettre en œuvre, à installer, à conserver; la dématérialisation d'une partie de la création sonore au fil des tuyaux d'internet; le manque d'audace des lieux de monstration, de production, des politiques culturelles orientées vers certains bassins de création plus que vers d'autres, ou qui ont tendance à défendre les valeurs sûres, aux dépens de la jeune création... Un ensemble de conjonctures différentes selon les genres, les personnes et les lieux qui font que nombre d'artistes vivotent, malgré pour certains un immense talent, et je ne citerai bien entendu aucun nom.


J'ai parfois été très surpris, après avoir sympathisé avec des artistes, de constater leurs difficultés financières, alors que je voyais leurs noms, leurs œuvres, leurs ouvrages et articles inscrits dans de nombreux pays du monde, dans les festivals les plus renommés. Nombre d'entre eux sont ainsi amenés à accepter des passages dans des lieux où leur seule rétribution se fait au chapeau, et devant des publics clairsemés devant le manque de communication associé à la méconnaissance du public pour ces artistes, si talentueux soient-ils.
Encore une fois, sans dresser un constat trop négatif, force est de reconnaître que la professionnalisation de l'artiste sonore, même réputé chez les connaisseurs et chez ses pairs comme talentueux chef de fil, n'est alors pas aisée du tout.


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