Ratka Lugumerski est une jeune artiste multimedia serbe…Elle est venue à Paris avec son regard de l’est, différent, étonné et neuf sur notre ville. Elle en a ramené des images, qu’elle a reformulé, à sa manière, à travers des collages plutôt parlants. Je ne sais pas trop pourquoi mais c’est sur le blog Art & Déco qu’elle a eu envie de s’exprimer à travers une interview que voici, et de vous présenter ses œuvres, ses idées, ses projets…Sans doute parce qu’elle a trouvé mon univers proche du sien…et elle a eu raison car j’ai eu la même impression…C’est donc avec un grand plaisir que je vous retransmets le fruit de nos échanges et de la première collaboration. A lire et à suivre !
Pouvez-vous vous présenter s’il vous plait?
Mon nom est Ratka Lugumerski. Je suis artiste en art visuel, originaire de Serbie. Je intéresse à la peinture, à l’art multimédia et visuel.
Vous travaillez avec des collages: vidéos ou photos, pouvez-vous détailler votre démarche ?
Presque toujours, mon travail vidéo reposait davantage sur une recherche documentaire que sur une expérience visuelle. Par exemple, pour le “Projet Ear” (“Projet Oreille”), j’ai interviewé plus d’une centaine de personnes d’origines sociales variées. Ils avaient à répondre à la même question: “Pourquoi Van Gogh s’est-il coupé l’oreille?”. Je m’intéressais à la société en un sens social et psychologique. A la manière dont les gens pensent…
Quel est votre média préféré ?
Alors la question est: qu’est ce que je veux et qu’est-ce que je peux en choisir un ? Bien sur, la manière la plus simple de répondre est Mixed Media !
Trouvez-vous votre inspiration dans le mouvement surréaliste ?
Je m’intéresse au re-design… plus particulièrement, à la tournure surréaliste des choses, qui renvoit à leur opposé, et ceci est lié à la théorie surréaliste. Les surréalistes ont placé des choses opposées côte-à-côte… «beau comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie».
De la même manière, je m’intéresse à la société, à ses diverses structures sociales et aux systèmes qui les régissent. Par exemple, au monde de la haute couture, au monde sophistiqué des compagnies prospères et parallèlement à celui des marginaux. Les gens dormant dans la rue enveloppés dans des sacs, des cartons, les vendeurs à la sauvette aux alentours de la Tour Eiffel avec de nombreux petits pendentifs Tour Eiffel en face de la grande tour.
Ils ont tous été conçus comme des unités visuelles particulières qui se fondent dans une image universelle… au même endroit et en même temps… je les dessine juste plus proches les uns des autres et crée de nouvelles relations entre eux…
Vous m’avez dit que le contexte géopolitique influence votre créativité. Pouvez-vous me préciser de quelle manière?
C’est un processus d’émergence, de développement et de disparition du système politico-territorial sur la carte politique du monde. La carte politique du monde est une représentation géographique du système international. Dans ce système, nous sommes tous des acteurs dans un grand spectacle. Certains d’entre nous n’ont même pas choisi leur rôle; il a été imposé dès la naissance…
Y-a-t-il une chance pour que l’acteur influence le spectacle?
Si nous sommes d’accord avec la théorie que le monde entier est une espèce de grande pièce de théatre complètement dingue, alors certains protagonistes y contribuent en se familiarisant avec les systèmes et en considérant les problèmes qu’ils rencontrent comme des défis. La force de l’esprit est nécessaire pour cela et pour moi c’est l’Art.
Par exemple ?
Par exemple, un artiste bulgare Christo Javashev. Au début, quand il s’est rendu à Paris en 1956, il n’avait qu’un crayon et $300 au cas où la police des frontières lui demanderait un pot-de-vin. L’année d’après, Christo s’est rendu à Paris où il a peint des portraits et rencontré Jeanne-Claude qui est devenue sa femme, assistante et associée. Il m’inspire beaucoup. Il est l’exemple même d’un artiste d’Europe de l’Est qui a connu le succès à l’Ouest. La première chose qu’il a remarquée est que les gens à l’Ouest peuvent dépenser beacoup pour des biens matériels et des objets emballés. Il en est donc venu à des projets d’emballage de masse.
Comment la ville vous-a-t-elle affecté ?
Fantastique! Pendant mon séjour à Paris il y avait une rétrospective Andy Warhol et, pendant la même période, j’ai eu l’occasion de visiter le musée Picasso… en chemin, j’ai pris beaucoup de photos des rues et, entre autres, la photo d’une femme mendiant dans la rue avec une gobelet en plastique dans la main… il se trouve que, par inertie, je l’ai placée juste devant l’affiche de l’expo du père du Pop Art et j’ai donné à ce travail un nom typiquement cubiste: “Femme en manteau bleu avec une gobelet à la main”. C’était ma réponse artistique, inspirée par ce que j’avais alors vu et expérimenté.
De quelle manière avez-vous créé vos travaux ?
Pendant mon séjour en France je n’avais pas assez d’argent pour des aventures et expériences artistiques couteuses. Alors je me suis mise à chercher et collecter divers magazines populaires pour femmes, adolescents, hommes d’affaire… j’ai utilisé des photos tirées de domaines bien ciblés par le marketing et je les ai retirées de leur contexte. En collectant ces clichés modernes, j’ai fixé le point de départ d’une de mes anecdotes, une sorte d’horreur fantastique, de drame étrange. Je m’intéresse au contraste; déchirer et découper ces pages est l’acte le plus important.
Pourquoi déchirer ?
Chaque page découpée du journal laisse un sillon fantastique, conséquence de la déchirure, qui accompagne l’anecdote en premier plan et me permet de m’engager dans dans la beauté purement abstraite du dessin en arrière-plan. Déchirer le papier est pour moi une sorte de schizophrénie (une dissociation de la personnalité entre désir et possibilité) et le collage est une remise en ordre, la découverte du nouveau système. C’est une étude sociologique portant sur la transformation à travers le collage. J’utilise le collage comme une expérience initiale, un point de départ. Ensuite, j’utilise aussi Photoshop et le résultat finial est une image de grand format.
Qui sont vos artistes préférés ? Ceux qui vous inspirent ?
Il y en a beaucoup… ils sont surtout du siècle dernier… mon cœur appartient à Vincent Van Gogh et Jean-Michel Basquiat et mon esprit respecte Duchamp, Picasso et Andy Warhol… J’ai aussi vu deux autres expositions à Paris : David La Chappelle et Robert Combas (ils ont tous les deux laissé une forte impression au niveau spirituel-affectif pour moi tout comme Warhol et Basquiat avant).
Quels sont vos projets pour cette année ?
Je souhaiterais terminer tout le projet “Anecdote la France” sur canevas de grandes dimensions et trouver une bonne galerie à pour exposer mes travaux. Je souhaiterais aussi avoir la possibilité de m’exprimer dans des lieux publics. J’aimerais que certaines de mes œuvres soient installées dans les couloirs du métro qui conduisent “du boulot au dodo…”. Dans des formats larges comme les panneaux publicitaires mais élimés par les déchirures, collés en couches, quelque chose comme des installations en relief (pensez-vous que cela puisse se réaliser?:-))
Translated from English to French :Sofian Teber
Dans le même genre
- [expo] Collages new style & ultra-moderne nostalgie
- Laurent Gugli expose ses pin-up pop à la galerie Artdollar
- Les collages fashion de Sandra Dechnik au Cineaqua
- Vernissage de Lys : collages et graphisme romantico dark
- Louise Bourgeois : une grande dame à Beaubourg