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Voir Copenhague et mourir ?

Par Florence Trocmé

Poezibao propose ce texte signé par par Dominique Dou, Bernard Noël, Hubert Haddad, Jean-Pierre Faye, Catherine Zittoun et Zeno Bianu et rédigé dans le prolongement de la Conférence de Copenhague en décembre 2009. Ses auteurs l’ont proposé au journal Le Monde qui n’a pas jugé à ce jour utile de le publier. D’où le décalage dans le temps de la présente publication sur le site.

Voir Copenhague et mourir ?

Pour réparer la peau du monde, on nous dit qu’il y faut un tintamarre de tous les diables quand on est poètes. Car nous n’aurions que les mots.
   
C’est faux : nous avons une parole, bien terrestre.
Dans notre manière d’être au monde par les écritures, dans cet écart provoqué par les écritures,
on nous voudrait retirés du monde.
C’est faux : nous regardons Copenhague, dans le froid des langues multipliées et sourdes au siècle.
   
Nous avons regardé Copenhague en face et nous n’avons entendu aucune parole.
Alors, nous sommes là, quelques-uns, réunis dans la langue du poème et l’amitié silencieuse, devant la géographie et l’histoire soudées, à penser, prétention exorbitante, que les femmes et les hommes politiques, ayant besoin de tous, ont aussi besoin de nous.
On nous a dit que c’était notre devoir de dire quelque chose.
Car nous savons où va ce siècle sans entente.
   
Face à ce danger mortel qui guette l’humanité, cette mortalité exagérée, amplifiée sur tous les continents, et les plus pauvres d’abord, par nos actions sur la terre et les hommes,
comment ne pas penser qu’il s’agit de la source de l’humain qui est en cause ?
C’est aussi la source du poème.
   
Pour la première fois sans doute, nous avons compris ensemble – toute l’humanité sur cette terre – que nous sommes devant une seule et effrayante question : allons-nous nous sauver ensemble ou disparaître ?
   
Pour la première fois, nous sommes conduits ensemble à penser notre pérennité sur cette planète ; à tenter de sauver ce commun dénominateur, notre humanité, en nous-mêmes, pour sortir de l’inquiétude qui rend inconfiant.
Nous n’avons pas même un siècle pour agir. Pour agir puisque nous le devons. Vite.
   
La nature dont nous nous sommes progressivement privés en ce dernier vingtième siècle, par nos actions industrielles, technologiques, se venge. S’en fout de notre humanité, la nature.
En sa marche naturelle, abîmée, usée, desséchée ou inondée, la nature est telle qu’elle nous éloigne davantage, chaque année, de son cœur.
   
Si éloignés en sommes-nous, que nous trouvons fabuleuse la neige qui tombe en hiver !
Bientôt, il n’y aura plus de neige sur les branches, plus d’eau fraiche et claire sous nos terres.
Qu’avons-nous faits de nos talents pour en arriver là ?
Mais il n’est plus temps de nous sentir coupables.
Rien n’est plus éloigné d’ailleurs de nous, rédacteurs de ce texte, puisque nous avons « l’art pour ne pas mourir de la vérité ».
   
Nous mourrons tous : rien n’est plus sûr.
Mais nous voudrions mourir calmes et sereins, certains que nos suivants verront nos traces, survivants sur une planète vivante, bruissante de feuilles et de pluies raisonnables,
sous un soleil chaleureux et non pas calcinateur.
   
Nous voudrions rêver à un voyage que nous n’avons pas encore fait, vers le pôle Nord,
pour voir la banquise de près et penser que là, vraiment, nous sommes dans l’enfance du monde. Quel que soit notre âge, notre génération, nous, écrivains-poètes, pensons qu’il y eut une enfance
du monde qui doit se poursuivre et nous protéger encore.
   
Nous pensons, oui, nous pensons que la peau du monde est ce qu’il y a de plus profond dans
l’humain, à l’heure qu’il est.
Nous n’avons rien entendu à Copenhague.
Nous n’avons pas entendu de parole mais des confrontations d’intérêts.
   
Nous ne sommes pas naïfs : nous avons entendu derrière le mur de la langue diplomatique et même derrière l’affrontement, le langage économique, le langage du rendement sans chiffres.
Le pire : le langage du protectorat bien senti, de continent à continent.
   
Nous ne sommes pas naïfs : nous avons entendu à Copenhague, qu’aucun de vous, chefs d’État, diplomates, techniciens, ne souhaitait mettre en examen ce qui vous avait conduit à Copenhague.
   
Non, nous n’avons rien entendu à Copenhague.
Nous avons seulement vu comment chacun d’entre vous dévisageait l’autre comme ennemi, au lieu de l’envisager comme un autre vous-même, dans son entièreté – semblable.
   
Mais si vous n’avez pas parlé avec l’autre, qui êtes-vous ?
Rien ne s’est passé au royaume du Danemark. Rien d’humain.
   
Tandis que vous, mesdames et messieurs les chefs d’Etat, diplomates, techniciens, ruminez globalement votre échec global, tandis que l’honneur d’y être allés et la honte d’en être partis sans accord vous recouvrent comme une froide couverture de mots sans parole,
nous vous prions, nous vivants, poétiquement vivants, de revenir, là ou ailleurs, et de poursuivre ces discussions jusqu’à ce qu’un véritable accord s’en suive.
   
Car ce travail que nous vous avons confié, et qui n’est pas fait, ce travail pour lequel nous vous avons mandaté et qui n’est pas fait, vous DEVEZ le faire.
   
Vous le devez à tous les peuples sur cette terre, à nous qui sommes issus de cette terre et à vous- mêmes qui y retournerez, comme nous tous.
   
Ce travail - difficile nous le savons – faites-le dans la confiance,
dans la conscience de l’humain qui ne doit pas mourir.
Et nous, nous continuerons le nôtre, dans la confiance et la colère mêlées.
   
   
Par Dominique Dou, Bernard Noël, Hubert Haddad, Jean-Pierre Faye, Catherine Zittoun et Zeno Bianu

 


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