Jan MASSYS (Anvers, c.1509-1575),Flore, 1559.
Huile sur panneau de chêne, 113 x 113 cm,
Hambourg, Kunsthalle.
[cliquez sur l’image pour l’agrandir]
Une des raisons pour lesquelles les musiques anciennes demeurent un champ d’investigations passionnant est que nul ne peut prétendre y détenir de vérité absolue, l’éloignement temporel et les lacunes des sources laissant ouvert un nombre important d’hypothèses. En 1995, l’ensemble Doulce Mémoire enregistrait pour Astrée une très belle anthologie de chansons et de musiques de danse extraites des recueils publiés par Pierre Attaingnant dans la première moitié du XVIe siècle. Aujourd’hui, ces talentueux musiciens, dirigés de main de maître par Denis Raisin Dadre, reviennent à ce répertoire après un long travail de mûrissement et de recherches sur l’organologie. Le résultat est un disque particulièrement réussi intitulé Que je chatoulle ta fossette que je vous propose de découvrir aujourd’hui.
Le rapide essor
de l’imprimerie, depuis son invention en terres d’Empire au milieu du XVe siècle, a très vite profité à l’édition musicale. Si le premier recueil imprimé, le Graduel de
Constance, date d’environ 1473, c’est Ottaviano Petrucci, qui publia à Venise, en 1501, l’Harmonice musices Odhecaton, que la postérité retient comme figure tutélaire des
imprimeurs de musique. Pierre Attaingnant, un exact contemporain de Rabelais, fut un des premiers à s’illustrer dans ce métier de notre côté des Alpes. Sur la foi de ses nombreux travaux au
profit du chapitre de Noyon, certains le supposent originaire du Nord de la France, où il serait né dans la dernière décennie du XVe siècle, probablement vers 1494. Aucun document
n’appuie cependant cette hypothèse, le nom d’Attaingnant n’apparaissant pour la première fois que dans un contrat du 13 janvier 1514, où il est désigné comme « libraire » et
propriétaire d’un petit matériel d’imprimerie ; il demeure alors à Paris, rue de la Harpe. En 1520, il épouse Claude Pigouchet, fille d’imprimeur, et se consacre, à partir de 1528,
presque exclusivement à l’édition musicale. Il améliore considérablement la méthode d’impression mise au point par Petrucci qui nécessitait deux tirages, un pour les portées, l’autre pour les
notes, en fondant des caractères réunissant note et fragment de portée, ce qui autorise un tirage unique. Si le résultat est moins élégant que celui du Vénitien, le gain de temps est
suffisamment important pour permettre un abaissement des coûts de production et, par conséquent, une plus large diffusion des livres. Outre une méthode de luth publiée en 1529 (Tres breve
et familiere introduction pour entendre et apprendre par soy-mesmes a jouer toutes chansons reduictes en la tabulature du lutz…), ce sont sept recueils de Danceries qui
sortiront de ses presses entre 1530 et 1557, mais aussi quantité de livres de chansons (les Chansons nouvelles, premier ouvrage conservé de ce type en France, paraît en 1528), de
motets et de messes. Le succès est au rendez-vous, puisque François Ier accorde à Attaingnant, le 18 juin 1531, un privilège de six ans pour imprimer et vendre la musique « en
choses faictes et tabulature des jeux de lutz, flustes et orgues » et qu’il peut ensuite se prévaloir, à partir de 1537, du titre honorifique d’ « imprimeur et libraire en
musique du Roy ». Veuf entre 1543 et 1545, il épouse en seconde noces, cette dernière année, Marie Lescalloppier, qui assurera la pérennité de son atelier après sa mort, survenue sans
doute vers 1552, comme le laissent supposer le transfert de la charge d’imprimeurs de la musique du roi à Robert Ballard et Adrian Le Roy en février 1553 et la publication d’un ouvrage à
l’adresse de la « veuve Attaingnant » en juillet de la même année. Soulignons, pour finir, l’importance capitale de l’activité d’Attaingnant, sans réel concurrent à Paris avant
1549, particulièrement dans la diffusion et le succès de la chanson française à son époque, mais aussi pour la transmission jusqu’à nous de ce répertoire.

Au-delà d’une anthologie de la plus belle eau mêlant danses et pièces vocales dans une interprétation qui conjugue avec bonheur vigueur, verve, et finesse, Que je chatoulle ta fossette offre la vertigineuse sensation d’entendre le répertoire qu’il propose pour la première fois, tant les couleurs en paraissent neuves, gorgées de délicieuses saveurs et de sève palpitante. Il flotte dans ce disque un parfum de printemps qui ouvre à l’interprétation de la musique de la Renaissance des voies qu’il ne sera désormais plus possible d’ignorer et qui promettent pour l’avenir quelques floraisons aussi somptueuses qu’inattendues.
Pierre ATTAINGNANT (éditeur, c.1494-c.1552), Que je chatoulle ta fossette, Danceries.
Danses et chansons extraites des Premier (1530), Deuxième (1547), Troisième (1557), Quart (1550), Cinquième (1550), Sixième (1555), Septième (1557) Livres de Danceries, ainsi que de la Tres breve et familiere introduction… (1529), des Quatorze Pavanes… (1531) et des Dix huit Basses dances garnies de recoupes et tordions… (1530).
Doulce Mémoire.
Denis Raisin Dadre, dessus de flûte à bec, taille de hautbois & direction.

Extraits proposés :
1. Branle gay Que je chatoulle ta fossette & Branles gays 28, 23, 42 &
7. Violons et flûtes à bec.
2. Pavane. Luth et harpe.
3. Claudin de Sermisy (c.1490-1562), Amour pense que je dorme. Paulin Bündgen (dessus mué), harpe, luth.
4. Pavane 8, Pavane des Dieux, Gaillarde. Violons.
5. Basses dances 3 & 1, Tourdions 8, 9 & 39. Flûtes colonnes, violons.
Illustrations complémentaires :
Anonyme, Un atelier d’imprimerie, 1568. Gravure sur bois.
La photographie de l’ensemble Doulce Mémoire est de Fabrice Maître.
