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Le crépuscule des magiciens I

Par Hiram33

&

Le crépuscule des magiciens, le réalisme fantastique contre la culture.

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Laisser dire, c’est accepter

Le réalisme fantastique est né à la suite de longues méditations, poursuivies, comme il se doit, dans les arcanes de l’hindouisme. Un rationaliste mécréant, dans le sens étymologique du terme, est susceptible de s’intéresser au phénomène Planète s’il trouve à s’amuser. Il existe dans le mouvement Planète un dépassement  des proportions normales de toute chose qui tourne à l’exagération-choc et vise à traumatiser le lecteur en le projetant à travers les toboggans de l’espace, dans la griserie fantastique des hyper-réalités, d’où il ne peut retomber qu’abasourdi et conquis. Planète mène son jeu avec l’accent de la sincérité totale, piquant de-ci, de-là, de vifs éclats d’indignation contre les sceptiques. L’intelligence des auteurs de Planète leur interdit d’être dupes. Ils sont assez perspicaces pour ne pas s’abuser eux-mêmes. Beaucoup de lecteurs de Planète qui s’amusent des folles histoires qu’on leur conte se demandent perplexes si, dans toutes ces histoires, il n’y a pas quelque chose de valable. Les lecteurs de Planète sont des gens instruits et cependant, par le succès qu’ils assurent aux publications ésotériques, ils révèlent une crédulité effet et cause d’une insuffisance foncière d’esprit critique. Dans la littérature de l’insolite, l’invention s’articule volontiers sur des données positives, mettant tout de suite le lecteur en confiance. Certes on ne dédaigne pas l’invention à l’état pur, mais le plus souvent, on se plait à partir d’un élément tangible un rêve, un récit, une tradition, voire même un fait scientifique. Tout est possible, tout est permis, ce qui assure aux auteurs une licence d’autant plus précieuse que le succès est en raison même de l’incontinence imaginative. Dans Planète, on ne démontre pas, on affirme par insinuation, par interprétation ou par affirmation invérifiable. De plus les auteurs de Planète entretiennent une confusion entre ce qui est science et  ce qui ne l’est pas. La plupart des responsables de Planète se présentent comme « scientifiques » diplômes en main. Tant que les homme sde science et de bon sens se contenteront de hausser les épaules devant de telles divagations, les tentatives de Planète et compagnie continueront d’égarer les foules.

Au commencement était... le Matin des magiciens

Le Matin des magiciens, malgré sa densité et son prix, a pénétré les milieux les plus divers, ne laissant aucun lecteur indifférent. Beaucoup ont fait des réserves à son égard, beaucoup aussi ont estimé qu’il y avait là bien des choses à retenir dont on pourrait tirer large profit. Les auteurs veulent servir l’homme en travaillant pour l’avenir. Ils veulent lancer des concepts nouveaux. La grande clarté de leur style ne peut supprimer la complexité des propos aux nuances contradictoires. L’ouvrage tout entier est traversé par la conviction d’un changement complet de notre monde et de la conception que nous nous en faisons... C’est à une prospection du fantastique d’une richesse insoupçonnée que les auteurs nous convient avec une audace sûre d’elle, même, insensible à l’objection et encore plus à la simple vérification. Pendant 500 pages, nous sommes aux écoutes des pulsations de l’extraordinaire, dans l’insolite. Dans le Matin des magiciens, science dite « officielle » est l’objet des critiques les plus vives. Elle est opposée à celle d’un certain avenir, la science révolutionnaire, conçue dans un esprit éminemment favorable à la thèse du fantastique généralisé. Pauwels et Bergier reprochent à la science officielle de prononcer des interdits. Leur rejet du « conformisme scientifique » est dans la ligne même de leur refus de reconnaître la légitimité des exigences scientifiques en matière de connaissance. Pauwels et Bergier précisent d’abord que leur livre n’est ni un roman, ni une contribution scientifique. C’est une sorte de conquête spontanée, réalisée par des esprits neufs. Leur but est de recueillir des faits et des rapports entre les faits, que la science officielle néglige parfois ou auxquels elle refuse le droit d’exister. Ils font une place privilégiée à l’alchimie. Ils cherchent à interpréter les secrets des civilisations évanouies et des philosophes maudits. Au début, comme à la fin de cette vaste prospection, ils déclarent : « Nous ne voulons que suggérer le plus grand nombre d’hypothèses non déraisonnables ». Pauwels et Bergier sont partis d’un fait exact : l’achèvement d’une certaine ère historique, l’avènement d’une ère nouvelle. Les auteurs ont raison de dénoncer un certain immobilisme intellectuel et moral, représenté par des philosophies et des politiques qui relèvent de normes largement dépassées aujourd’hui. Mais l’ère nouvelle ne s’ébauche pas au sein d’une résurgence de visions annonciatrices, de concepts magiques comme l’affirment Pauwels et Bergier. Elle est, au contraire, dans le prolongement direct des méthodes et des progrès de la « science officielle ». Il est faux de dire comme Pauwels et Bergier que « le monde ne joue plus le jeu de la raison ». La révolution qui s’annonce est entièrement due à la connaissance rationnelle. On ne bâtit rien sans la raison. Le fantastique n’est pas un sol sur lequel on puisse édifier quoi que ce soit. Quoi qu’en pensent les auteurs du Matin des magiciens, il n’y a qu’une sorte de vérité, la vérité scientifique, parce qu’elle seule s’élabore dans l’exigence de l’objectivité et du contrôle. Les auteurs espèrent découvrir des trésors dans la masse des laissés pour compte du passé, dans les vieux grimoires oubliés où dorment ce qu’ils appellent des « réalités damnées ». Une telle espérance relève d’une conception enfantine de la science que l’on identifie à une collection de faits nombreux, plus ou moins sensationnels, dont il convient de n’ignorer aucune pièce. Lorsque le savoir humain se situe à un certain étage, les matériaux et les procédés qui ont servi à édifier l’étage précédent ne lui sont plus d’une utilité ouverte sur la recherche et la découverte. Les traditions incontrôlables, les récits fabuleux, les débordements d’écrivains désaxés, apportent à Pauwels et Bergier une manne de faits sensationnels qui, mis en valeur par un choix calculé et des rapprochements habiles, constituent une « démonstration » de masse, dont ils sont les premiers abusés. C’est ainsi qu’ils se trouvent renforcés dans une vue chère aux occultistes, la croyance que l’humanité a connu, dans la plus haute antiquité, une science très avancée, dépassant même largement celle du Xxè siècle, par voie d’extension, ils en arrivent à trouver argument en faveur de messages et d’informations qui auraient été apportés à des privilégiés par des voyageurs de l’espace venus visiter les humains du fond de l’inconnu. L’alchimie a tourné beaucoup de têtes, sans apporter le moindre profit à l’humanité, dont elle a gaspillé de précieuses énergies. Chercher dans ses cendres des pépites égarées s’avérerait d’une haute naïveté. La documentation du Matin des magiciens utilise largement les ressources d’histoires légendaires et les relations de voyages favorables aux prodiges mais les auteurs ont trop insisté sur l’orientation nouvelle des sciences (qui serait favorable au fantastique et à l’ésotérisme), pour ne pas puiser également leurs exemples dans les observations scientifiques « insolites » et satisfaire, du même coup, ceux qui n’attendent d’évidence que de la science.

L’examen des faits rapportés par les auteurs montre leur imposture. C’est ainsi que dans les considérants d’une certaine théorie des « mutants », qui sont des sorties de surhommes, il est dit que la radio-activité est aujourd’hui 35 fois supérieure à ce qu’elle était au début du siècle. Cela n’a aucun sens. Il est démontré d’autres supercheries de Pauwels et Bergier concernant la dynamique stellaire ou le déplacement des électrons. Pauwels et Bergier utilisent la confusion entre des valeurs distinctes pour introduire du fantastique là où l’on n’était nullement préparé à en découvrir. Les prodiges décrits par Pauwels et Bergier s’éteignent dès qu’on peut remonter aux sources et en établir les circonstances. Comme par exemple la croix du Sud décrite par Dante dans la Divine comédie et que l’écrivain n’aurait pas dû connaître à son époque (XIVè siècle) ce qui est faux, ou l’histoire de Rampa, lama initié qui aurait pu voir les cadavres recouverts d’or de géants de 3 à 5 mètres, qui vivaient bien avant que notre humanité ne parût sur terre. La supercherie fut vite révélée. Rampa n’était que le fils d’un plombier de Londres qui n’avait jamais mis les pieds au Tibet. Il s’appelait Cyril Henry Hoskins. Pauwels et Bergier reprennent à leur compte les théories de Horbiger et de Gurdjieff qui évoquent l’histoire des quatre lunes de la Terre. Ce qui est fantastique, c’est qu’on puisse répandre de telles sornettes en affectant d’y croire et qu’elles soient aisément acceptées.

Pauwels et Bergier en rejetant la science pour accepter les divagations d’une prétendue « science d’avant-garde », prennent position d’occultistes, ils raisonnent en occultistes. Toute la vision du monde de Pauwels et Bergier est une optique d’occultistes, dans laquelle le rationnel est englué de surnaturel. Le propre de l’occultisme c’est, avec sa malfaisance, sa stérilité. Le Matin des magiciens renferme des vues généreuses et des idées pertinentes, éparpillées tout au long des 500 pages mais n’en constitue pas moins, dans sa matière essentielle (si parfaitement polarisée par une tendance d’interprétation magique), une oeuvre néfaste susceptible d’égarer la pensée hors des voies rationnelles de la réflexion.

Le Matin des magiciens ou le monde à l’envers

Ce livre est le livre de la raison abolie, du monde à l’envers; il est l’apologie de l’irrationnel. Tout ce que l’esprit humain peut avoir de doutes, d’incertitudes, d’émoi trouve son écho dans ce livre par le moyen d’une fantastique altération de la réalité. Le mécanisme du progrès scientifique échappe totalement aux auteurs, qui croient tout possible n’importe quand, et qui surtout ne voient pas que, dans les sciences de la nature, la notion essentielle est la notion de loi. En résumé, Pauwels et Bergier substituent au mécanisme de la découverte scientifique la transmission mystérieuse des secrets. D’autres exemples pourraient être donnés d’une réflexion rationnelle et profonde suivie d’une plongée dans la magie : c’est le thème du livre tout entier, repris de cent façons différentes, mais conduisant toujours au même point. La raison dont se réclament Pauwels et Bergier est initiatique, magique, fantastique. Elle mélange le réel et l’imaginaire et, au bout du compte aboutit au but recherché : provoquer le délire du lecteur.

Force doit rester à la raison

Le mélange du vrai et du faux, du sérieux et du frelaté, la condamnation de la science officielle et l’apologue de la la science mystérieuse des alchimistes, des chevaliers de Rose-Croix, ont un piquant qu’il est difficile de trouver dans la structure du noyau, les macro-molécules et l’algèbre de Boole. En particulier, ce qui distingue la fausse science de la vraie, et ce qui fait son indéniable supériorité, c’est qu’elle ignore l’effort, la vérification et la déchirante épreuve qui consiste à rejeter les erreurs pour atteindre la vérité. La fausse science a toujours raison.

Planète, une revue qui avance à reculons

Qu’est-ce que Planète ? « Ni une revue littéraire, ni une revue scientifique. Elle est, au plein sens oublié du mot, une revue poétique » écrit Pauwels. Dès lors, toute critique de Planète devient malaisée : critique, le poète vous écrase de sa science; discuté, le savant se fait poète. Le procédé permet de toucher à tout sans être spécialiste de rien. Planète, c’est à la fois une philosophie, un programme, un style, un vocabulaire, une méthode même, sinon de recherche, du moins de vente. La présentation, le style et le vocabulaire de Planète sont parmi les raisons essentielles de son succès. En effet, Pauwels n’a pas son pareil pour terroriser sournoisement le lecteur, grâce à des formules où le vague le dispute à la grandiloquence mais avec une rare efficacité. Ainsi, il n’est pas de collaborateur de Planète qui ne soit au moins « grand », ou qui n’ait fait dans un quelconque domaine de l’activité humaine d’inoubliables découvertes. Le programme de Planète est simple encore qu’ambitieux. Il s’agit de mener à bien une « nouvelle Renaissance ». Elle vise à la mutation favorable de l’espèce humaine. La revue est habile à jouer sur les mots, en particulier sur celui de fantastique. En effet, tout l’effort de la science nous est présenté comme devant retrouver discursivement des vérités connues de civilisations disparues. Dans un autre domaine, l’essence de l’histoire est-elle d’être « invisible ». D’où sans doute l’intérêt des rédacteurs de Planète pour tous les mouvements politiques à idéologie ésotérique et pour les sociétés secrètes. C’est ce qui doit expliquer la curieuse obsession qu’a cette revue du nazisme.

Planète répond

Pauwels a répondu à la critique de François Herbault paru dans France Observateur en 1962. Il n’a pas voulu répondre sur le caractère suspect de la « Nouvelle Renaissance », sur l’idéologie réactionnaire dissimulée sous le tapage futuriste, sur le goût maniaque de la revue pour le nazisme. Pauwels se plaint qu’au lieu de l’aider à mieux faire, on lui conteste le droit à l’existence. Dans un article intitulé « voici le temps des mystificateurs » Jean d’Ormesson disait son fait à Planète. Il estimait qu’au fur et à mesure que les moyens modernes d’information révèlent le monde entier à tous, la mystification se glisse subrepticement mais violemment dans cet univers technique. Pour lui, le « Matin des magiciens » était redoutable et habile.

Lettre ouverte à Louis Pauwels. Qui est malhonnête ?

Nous vivions une époque phénoménale. Sur la planète entière, l’immense foule des hommes subit une opération de déconditionnement, d’une dimension, d’une intensité prodigieuses. L’apparition de Planète dans la constellation parisienne était un fait capable de cristalliser le climat d’une certaine curiosité intellectuelle. Si Pauwels avait créé Planète pour faire oeuvre de journaliste supérieur, pour répondre à un besoin profond, pour rendre un « service » à la société des hommes, Pauwels aurait accepté le risque d’être jugé sur le plan de l’exigence, du sérieux et de la qualité. Quand on veut étudier les mystères du monde, il faut commencer par vouloir réellement les mettre sous les lumières véritables de l’intelligence, de la clarté lucide, et non les épaissir par la nébulosité du vocabulaire. Or c’est le premier des maux dont souffre Planète. Pauwels pratique le pathétique de l’enflure en utilisant les termes romantiques de l’initiation accolés à la terminologie scientifique. L’association systématique du noble et du vulgaire, du connu et du vague, du pratique et du sentimental, si elle permet à Pauwels de tromper la curiosité du lecteur à toutes les sauces, de provoquer un affolement de la boussole rationnelle, est le contraire d’une preuve scientifique. Si ce n’est peut-être de mauvaise intention. Pauwels ne vérifie pas la plupart de ses sources. Le sérieux dans le ridicule, qui est une attitude de combat, est un veiux truc que les journaux à succès utilisent quotidiennement. Pauwels participe sans aucun doute à une opération de reconditionnement fondée sur l’arbitraire le plus équivoque.


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