Brunor La Question interdite préface de Paul Clavier 304 pages, 22 €
F.-X. de Guibert / Le Sénevé
Pierre, Damase, Léon et les autres...
En 2005, avec www.Jésus qui ? Brunor obtenait le prix de la bande dessinée chrétienne francophone au festival d'Angoulême ; ce nouvel album, La Question interdite, en est la suite. Cette BD, sortie en décembre 2008, aux Éditions Viltis, a fait l'objet d'une réédition, en septembre 2009, par F.-X. de Guibert / Le Sénevé. En quatorze chapitres, comme autant de stations vers l'unique vérité de la Révélation, Brunor nous offre ici une défense et illustration de la plus authentique théologie chrétienne.
L'action narrative est très simple : deux jeunes gens, Tom et Marine, entreprennent de traverser la baie du Mont Saint-Michel. Ce n'est bien sûr qu'un prétexte à une investigation théologique originale, une « Enquête pour l'unité » du christianisme, qu'ils vont mener avec l'aide d'un ermite fransciscain, le frère Déodat. Le lieu évidemment n'est pas anodin puisqu'il permet à l'auteur de développer une métaphore filée qui dramatise l'histoire : au danger d'ensablement que doivent affronter nos deux héros correspond l'enlisement des idées et particulièrement cette « Question interdite », en 648, par l'édit de l'empereur Constant, qui pose le problème de l'intelligence du dogme christologique : Qui est Jésus-Christ ?
Pendant des siècles, contre les erreurs d'interprétations souvent divergentes et contradictoires, l'Église romaine n'a cessé de rectifier imperturbablement le sens métaphysique de celui qui s'appelait lui-même le fils de l'Homme et que ses disciples appelaient le fils de Dieu. La formule la plus juste fut sans doute celle que prononça le pape Léon, en 449 : « Verus homo vero unitus est Deo » (L'Homme nouveau et véritable uni à Dieu véritable), définition qui sera reprise, en 451, par le concile de Chalcédoine. Selon Brunor, ce « concile, reconnu par toutes les confessions chrétiennes actuellement divisées, pourrait servir de base commune pour construire l'unité, comme le rocher stable, au milieu des sables, sur lequel il a été possible d'édifier le Mont Saint-Michel ». (Cf. entretien de Brunor sur le site Zenit )
Cette première BD de théologie est en même temps un hommage au grand philosophe chrétien Claude Tresmontant. Les illustrations de Brunor rythment le texte et réussissent à traduire le style si particulier de l'auteur du Prophétisme hébreu, vivant et didactique, fait de reprises et de répétitions volontairement redondantes, qui appelle la forme dialoguée. Ce métaphysicien de grande race oeuvra inlassablement pour retrouver les réalités ontologiques déterminantes gisant au fond de notre culture religieuse. C'est à ce désensablage auquel Brunor a souhaité participer en utilisant l'expression propre à son art. Pour ce faire, il a pris pour «guide» le maître en théologie du philosophe, le Père fransciscain Déodat de Basly qui renouvela presque à lui seul, au début du vingtième siècle, la christologie scotiste : en démêlant les enchevêtrements des diverses christologies, son œuvre, encore ignorée, démontre que la pensée de l'Église a sa propre christologie qui est celle des papes de Rome, demeurés fidèles aux sources du monothéisme, depuis le premier, Schiméon bar Ionah, que le fils de l'Homme surnomma Céphas (en latin Petrus), le Rocher, jusqu'à Damase, Léon et les autres...
La pensée de l'Église n'a pas toujours suivi ses plus grands docteurs ni leurs interprétations théologiques, c'est dans les différents conciles oecuméniques qu'elle s'est formulée. Brunor, dans son remarquable ouvrage, s'est donc inspiré de la méthode de Claude Tresmontant : il s'est appuyé dans son "enquête" sur les grands conciles qui, à travers les âges et avec l'assistance du Saint-Esprit, ont défini une métaphysique chrétienne originale, une doctrine de l'être et de l'incarnation, une philosophie radicalement différente des philosophies hellénistiques, une doctrine de l'absolu et de l'être sensible, une anthropologie très précise, une doctrine qui s'est construite en écartant les principes incompatibles avec la dogmatique chrétienne : une métaphysique de l'action, de la liberté et de l'amour.