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Du plombier polonais au kiné russe

Publié le 03 mai 2007 par Philippe Barraqué

Mais pourquoi donc aller en Russie pour sa rééducation fonctionnelle? On connaissait le syndrome du plombier polonais qui alimente les conversations populistes, mais le kiné russe? C'est une méthode révolutionnaire, nous disent les medias. Un ancien trapéziste, devenu tétra après une mégachute, a remarché. Plus étonnant, il refait des démos d'althérophilie à ces heures perdues. Entre temps, il a mis au point une méthode de rééducation fonctionnelle intensive pour des patients qui ont perdu l'usage de leurs jambes.

Plan séquence made in Russie : l'action se déroule dans la salle de rééduc au confort spartiate. On retrouve bien les mêmes instruments de torture que dans les CHU français : barres, sangles, et j'en passe. Ce qui change, selon les dires des handicapés français qui ont fait le déplacement, c'est la prise en charge et le temps accru consacré aux exercices. Un coach est attribué pour chaque patient qui vous fait travailler au moins trois heures par jour. Beaucoup découvrent qu'en développant la musculature des membres supérieurs, par l'haltérophilie notamment, en optimisant ses appuis et sa force musculaire, on arrive à remarcher avec des cannes.

Quitter le fauteuil roulant pour un accidenté, c'est déjà beaucoup! Mais alors, pourquoi n'est-il pas toujours possible d'obtenir ces résultats en France? - Parce que les kinés n'ont pas le temps, qu'ils sont débordés de travail dans les centres et que vous n'avez droit, au mieux, qu'à moins d'une heure par jour de rééducation, nous dit un jeune handicapé. Quand on entend ça, on tombe des nues. Et pourtant, c'est la réalité quotidienne - pour l'avoir vécue dans des hôpitaux parisiens renommés. Mais cela n'explique pas tout. Dans ces centres, les méthodes de travail des kinés français en rééducation fonctionnelle semblent avoir régressées. Tel kiné vous montre un exercice à faire puis vous abandonne un quart d'heure pour aller s'occuper du suivant. La tendance est de vous mettre sur une machine ou dans une piscine et de vous laisser barboter dans votre mare!

Plus sournois encore, si vous êtes un sportif de haut niveau qui a fait une mauvaise chute, vous intégrez un service de médecine sportive de pointe où vous aurez droit à un coaching intensif pour récupérer l'usage de vos membres. Si vous êtes un accidenté lambda, vous vous retrouvez très souvent dans un service de rééducation différent. Oui, il n'y pas photo : pour la société, le sportif de haut niveau est rentable; l'handicapé est considéré comme portion congrue.

Donc, quand on veut s'en sortir, remarcher, revivre, que fait-on? - On booste les kinés, on les harcèle, on en demande toujours plus, quitte à passer pour un emmerdeur. Le cas échéant, on tente le tout pour le tout : on s'exile en Russie, en Suisse, ou ailleurs, pour se reconstruire un corps dans de bonnes conditions. Les kinés ne comprennent pas toujours que le but du jeu n'est pas forcément de remarcher normalement - il y a des cas où c'est impossible - mais d'obtenir un meilleur confort de vie, moins de douleurs, plus de souplesse articulaire, le sentiment de se réapproprier son corps. Dialogue surréaliste : il faut parfois leur dire qu'on ne veut pas remarcher mais simplement vivre son handicap dans des conditions optimums!

Pour conclure, un mot sur les kinés en ville. Difficile d'en trouver d'accessibles quand on est en fauteuil roulant. Je n'ai jamais compris comment on pouvait avoir un cabinet de rééducation fonctionnelle situé au deuxième étage sans ascenseur! Et puis, il y a les refus. Pourquoi? - Toujours la rentabilité. S'il vous faut deux fois plus de temps que les autres à vous habiller et déshabiller, à vous mouvoir, on préfère vous dire qu'on est surbooké, qu'on a atteint son quota de patients pour la sécu (il est vrai que leur tarif conventionné est dérisoire). Les patients, ils les prennent aujourd'hui quatre par quatre, installés dans des box individuels équipés de machines U.S., on achève rapidement les chevaux!

Nombre de cabinets de kinésithérapie ressemblent plus aujourd'hui à des instituts de beauté : drainage lymphatique, ultrasons, électrothérapie, on appuie sur un bouton et c'est tout. Ce sont les machines qui remplacent de plus en plus les gestes des praticiens. Seraient-ils devenus tétras, eux aussi?

* Source media : journal de France 2, 13h, 26/3/07

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