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Qu'est-ce que la propriété ? **/Proudhon (1840)

Par Essel

PROUDHONpropriété Elève brillant, ayant dû interrompre ses études quand son père fit faillite, devenu autodidacte, entrepreneur d’imprimerie et comptable dans une entreprise lyonnaise de batellerie, Proudhon est âgé de 31 ans quand il publie son premier essai, Qu’est-ce que la propriété ?, en 1840. On connaît tous sa réponse devenue célèbre : « La propriété c’est le vol»  Mais qu’entendait-il par là ?  C’est ce que j’ai essayé de comprendre en me plongeant dans cet essai philosophique.

Car il s’agit bien de philosophie, dans la mesure où « Proudhon suit bien la méthode d’interrogation philosophique en posant la question métaphysique de la propriété : comment rendre raison de ce qui est, comment justifier ontologiquement la propriété et en rendre l’existence indiscutable comme fondement d’un ordre juste et légitime ? Quelle est l’essence de la propriété ? » (Robert Damien, Présentation, p. 29)

Il se trouve qu’aucun argument économique, juridique ou philosphique ne justifie l’existence de la propriété, comme Proudhon va nous en faire la démonstration.

Proudhon commence par examiner le processus historique qui a instauré la propriété et l’a intégrée dans le fonctionnement de la société et de son économie marchande. 

Le droit romain définit la propriété, le droit d’en user et d’en abuser, sans être inquiété, que le propriétaire laisse pourrir ses fruits, sème du sel dans son champ, transforme un parc en potager, ou change une vigne en désert.

Il est repris parmi les quatre principes de la Déclaration des droits de l’homme (1793) et l’article 544 du Code Napoléon.

Proudhon dénonce la place du principe de la « propriété » parmi les quatre principes de la Déclaration des droits de l’homme : liberté, égalité et sûreté étant des droits « absolus, c’est-à-dire non susceptibles d’augmentation ni de diminution » (p. 174), le quatrième droit étant non pas social mais antisocial

Proudhon observe ensuite que le droit de la propriété a été fondé sur deux postulats : l’occupation et le travail.

L’occupation

Il avait commencé par insister sur la double définition de la propriété, qui est d’une part un droit dominal, seigneural, légitime (épouse légitime), et d’autre part un fait liée à la « possession ». On reconnait donc au propriétaire, au mari (sic) un droit absolu sur la chose, son terrain, sa maison, son usine, sa femme (sic),…, et au locataire, au fermier, à l’amant (sic), le fait de pouvoir en user, alors qu’ils font fructifier la chose.

Or « c’est le droit civil qui a établi pour maxime qu’une fois acquise, la propriété ne se perd point sans le fait du propriétaire, et qu’elle se conserve même après que le propriétaire a perdu la possession ou la détention de la chose, et qu’elle se trouve dans la main d’un tiers. » (p. 203). Ainsi la propriété et la possession, qui, au départ, étaient confondues, sont devenues distinctes.

Historiquement, il fallait à l’agriculteur un champ à semer et labourer tous les ans, à l’homme de guerre l’assurance de ne pas se trouver dépossédé de ses biens à son retour, aux enfants le bénéfice de l’héritage de leurs parents.

Mais les législateurs ne prévoyaient pas que ce droit perpétuel et absolu de conserver son patrimoine « entraîne le droit d’aliéner, de vendre, de donner, d’acquérir et de perdre », mais aussi « le droit de louer, affermer, prêter à intérêt, bénéficier dans un échange, constituer des rentes, tandis que le corps est ailleurs occupé » (p. 206) et qu’il renforcerait l’inégalité des partages non seulement dans les drois de succession, mais aussi en pérennisant l’inégalité sociale de génération en génération.

C’est ce qu’il appelle le « droit d’aubaine », droit de la propriété érigé sur des principes qui conduisent à l’inégale répartition des richesses et fortunes, à la loi des loups, au droit d’exploiter son locataire, son salarié agricole ou industriel.

Et pourtant, « en vertu de quel droit l’homme s’est approprié cette richesse qu’il n’a point créée, et que la nature lui donne gratuitement ? » (p. 217)

« Il est permis à chacun de s’enfermer et de se clore » (p. 219), si bien que sans autorisation du propriétaire, particulier ou Etat, on ne peut boire l’eau d’une fontaine dans un terrain, on ne peut faire bâtir, on ne peut se promener dans un parc privé.

Le travail

Il est complètement faux aussi de prétendre que le travail conduit à l’égalité des propriétés. Or quand on défriche pour quelqu’un, on ne défriche pas pour soi, observe Proudhon. En louant sa main-d’œuvre, on perçoit certes un salaire pour les journées effectuées, mais on créée pour l’autre un instrument de production sans avoir rien créer pour soi. En effet, « il faut que le travailleur, outre sa subsistance future, sous peine de voir la source du produit tarir, et sa capacité productive devenir nulle. » (p. 248)

Or, par exemple, le cultivateur propriétaire trouve dans ses récoltes les moyens de faire vivre sa famille et lui, mais aussi d’améliorer son capital et surtout l’assurance permanente d’un fonds d’exploitation et de travail.

Comment y remédier ?

Par une nouvelle organisation du travail :

- le travailleur acquiert la valeur qu’il crée aux dépens du propriétaire oisif,

- toute production étant nécessairement collective, l’ouvrier a droit, dans la proportion de son travail, à la participation des produits et des bénéfices,

- tout capital accumulé étant une propriété sociale, nul n’en peut avoir la propriété exclusive. (p. 251-252),

- la quantité limitée de la matière exploitable démontre la nécessité de diviser le travail par le nombre des travailleurs (p. 260),

- l’inégalité des facultés est la condition sine qua non de l’égalité des fortunes : la spécialité des vocations permet la division du travail. (p. 262-263)

Par la dénonciation féroce de la propriété et de ses conséquences :

- quand on est propriétaire et qu’on loue, on est un escroc, nous dit Proudhon, car on dispose d’un capital que le locataire fait fructifier, et auquel on n’ajoute pas de valeur en soi chaque mois,

- quand on est propriétaire de son propre logement, on se fait escroquer par le prêteur (le banquier), qui y gagne les intérêts du crédit.

 - quand on est propriétaire d’une entreprise, on escroque son ouvrier puisqu’on le paie toujours moins que le prix que l’on fixe au fruit de son travail, si bien qu’il ne peut pas se le payer.

Quelles réflexions tirer de cet essai ? Finalement, même si certains exemples peuvent paraître sexistes et entériner une société patriarcale, qui, à l’époque, rappelons-le, constituait la norme, et dont Proudhon ne se démarque pas, la démonstration a porté ses fruits :

- Est-il normal en effet d’accepter l’omniprésence de plages privées d’hôtels comme à Cannes, de maisons donnant directement sur la mer sur la Côte d’Azur et empêchant de la voir en longeant la côte, de ne pas pouvoir se promener dans les forêts privées de Sologne ?

- N’y a-t-il pas de bonnes raisons d’être choqué de voir la majorité des salariés ne pas avoir les moyens d’acheter le produit de leur travail à leur entreprise qui se fait une marge sur leur travail, toucher une maigre retraite, tout en continuant à payer leur droit au logement à un rentier ?

- Entre le propriétaire et le banquier, lequel faire engraisser ? Plutôt le banquier, au taux d’intérêt le plus bas, pour pouvoir, à la retraite, arrêter de payer son droit à être logé…

- La Révolution n’a-t-elle pas remplacé une féodalité seigneuriale par une féodalité bourgeoise reposant sur l’argent, sa pérennisation et sa perpétuation dans les familles ?

       - Pour qu’ils soient libres et égaux en droits politiques mais aussi sociaux, les hommes n’auraient-ils pas dû rester nomades, en utilisant de manière non exclusive les biens naturels que sont la terre, l’eau et l’air, la terre ayant toujours été la source de conflits, et les deux autres n’allant pas tarder hélas à le devenir.

Qu’en pensez-vous ?

PROUDHON, Pierre-Joseph. - Qu'est-ce que la propriété ?. - Librairie Générale Française, 2009. - 445 p.. - (Le livre de poche. Classiques de la philosophie). - ISBN 978-2-253-08259-0 : 7,50 €.

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