La lecture d'Histoire égoïste avait été une sorte de révélation pour moi, quand j'avais 20 ans. Dans cette autobiographie de Jacques Laurent, j'ai appris qu'on pouvait avoir flirté avec l'extrême droite, avoir appartenu à l'Action française, avoir collaboré au gouvernement de Vichy, avoir polémiqué pour que l'Algérie reste française, et être un homme passionnant dont la fréquentation (en tout cas littéraire) pouvait être très fructueuse.
C'était tout à fait contraire à l'esprit de l'époque. Vers la fin des années 70, dans les lycées et les universités, l'opinion générale était, en gros, il faut le rappeler, que tous les hommes de droite étaient des profiteurs, des salauds, et que leurs idées étaient simplement au service de leurs intérêts.
A l'époque, je m'étais promis de relire ce texte à un âge vénérable, pour vérifier si son bénéfice était lié à ma surprise ou à sa qualité. Eh bien, aux deux.
Pour utiliser un terme qui n'avait pas cours au moment où il a été publié (1976), l'auteur est non-politicaly correct. Il y a dans sa position un curieux mélange de provocation (on sait qu'il a exagéré sa participation au régime de Vichy pour agacer ses contradicteurs) et de fausse naïveté.
Il attribue par exemple sa réputation d'affreux réactionnaire au simple fait qu'il a polémiqué contre Sartre et plus particulièrement contre la notion de littérature engagée. Mais sa biographie est un peu plus révélatrice de valeurs qu'il a défendues tout au long de sa vie, soutenues, on veut bien le croire, par l'amour de l'histoire et de la culture française.
Elles sont abondamment illustrées. Comme, dans son livre, Jacques Laurent ne vise pas à une confession, mais à une histoire des idées générales à travers sa trajectoire, ce sont toutes les polémiques des années 30 aux années 70 qui y résonnent - et dont la plupart, il faut l'avouer, sonnent comme des curiosités historiques. Notre auteur défend Maurras, Pétain, l'Algérie française, glorifie le soutien des Américains au Vietnam du sud et s'amuse de mai 68 dans lequel il voit un retour des idées des années 30. Une position, on le voit, assez claire.
Mais enfin comment ne pas apprécier quelqu'un qui s'attaque aux deux écrivains dominants de son époque, l'un de gauche, l'autre de droite, parce qu'ils se soumettent aux dictats d'un pouvoir?
En 1951, Jacques Laurent publie Paul et Jean-Paul, dans lequel il déboulonne Sartre en démontrant, textes à l'appui, que sa théorie de l'engagement est la même que celle de Paul Bourget, théoricien du roman à thèse qu'il met au service de la morale conservatrice chrétienne. En 1964, Mauriac sous de Gaulle, dans lequel il dénonce l'aplatissement du maître devant le général, lui vaut un procès et une condamnation pour « offense au chef de l'Etat ».
Jacques Laurent serait donc, plutôt que le fasciste qu'on a souvent vu en lui, un de ces anarchistes de droite qu'on arrive difficilement à définir mais qui accueilleraient dans leurs rangs Roger Nimier ou Marcel Aymé. Un homme qui refuse la littérature de l'engagement mais qui n'a pas peur de s'engager dans les causes perdues.
Le plus important peut-être: le style. Laurent affirme qu'il veut plaire plutôt que convaincre, et il y réussit: écriture chatoyante, accents à la Chateaubriand parfois, rapidités à la Stendhal, et un accent qui n'appartient qu'à lui.
Jacques Laurent, Histoire égoïste, Folio