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Anthologie permanente : Elizabeth Bishop

Par Florence Trocmé

LA MONTAGNE 
 
Au soir, quelque chose derrière moi. 
Je m’en vais un instant, je recule, 
ou titubant m’arrête et brûle. 
Je ne connais pas mon âge. 
 
Dans la matinée c’est différent. 
Un livre ouvert m’affronte, 
trop proche à lire confortablement 
Dites-moi mon âge. 
 
Puis les vallées se comblent 
d’impénétrables brumes  
comme du coton dans mes oreilles. 
Je ne connais pas mon âge. 
 
Je n’ai pas l’intention de me plaindre. 
Ils disent que c’est ma faute. 
Personne ne me dit rien. 
Dites-moi mon âge. 
 
Les plus profondes démarcations 
peuvent lentement s’étendre s’effacer 
comme le moindre tatouage bleu. 
Je ne connais pas mon âge. 
 
Les ombres tombent, les lumières montent. 
Escalade de feux, oh enfants ! 
Vous ne restez jamais assez longtemps. 
Dites-moi mon âge. 
 
Ici des ailes de pierre ont été pénétrées 
avec la plume que la plume durcit. 
Les serres sont quelque part égarées 
Je ne connais pas mon âge. 
 
Je deviens sourde. Les cris d’oiseaux 
faiblissent. Les cascades 
non asséchées coulent. Quel est mon âge ? 
Dites-moi mon âge. 
 
Laissez la lune aller se perdre, 
les étoiles s’occuper de leurs affaires. 
Je veux connaître mon âge. 
Dites-moi mon âge. 
 
  1952 
 
THE MOUNTAIN 
 
 
At evening, something behind me. 
I start for a second, I blench, 
or staggeringly halt and burn. 
I do not know my age. 
 
In the morning it is different. 
An open book confronts me, 
too close to read in comfort. 
Tell me how hold I am. 
 
And then the valleys stuff 
impenetrable mists 
like cotton in my ears. 
I do not know my age. 
 
I do not mean to complain. 
They say it is my fault. 
Nobody tells me anything. 
Tell me how old I am. 
 
The deepest demarcations 
can slowly spread and fade 
like any blue tattoo. 
I do not know my age. 
 
Shadows fall down, lights climb. 
Clambering lights, oh children ! 
you never stay long enough. 
Tell me how old I am. 
 
Stone wings have sifted here 
with feather hardening feather. 
The claws are lost somewhere. 
I do not know my age. 
 
I am growing deaf. The birdcalls 
dwindle. The waterfalls 
go unwiped. What is my age ? 
Tell me how old I am. 
 
Let the moon go hang, 
the stars go fly their kites. 
I want to know my age. 
Tell me how old I am. 
 
  1952 

 
CHEMIN DE FER 
 
Seule sur la voie ferrée 
   je me promenais le cœur trépidant. 
Les traverses étaient trop serrées 
   ou trop écartées peut-être. 
 
Le paysage était appauvri 
   chêne et pin chétifs ; de l’autre côté 
de leurs feuillages verts mêlés de gris 
   j’aperçus le petit étang 
 
où vit l’ermite crasseux, 
   croupi comme une vieille larme 
se cramponnant à ses blessures 
   lucidement année après année. 
 
L’ermite tira avec son fusil de chasse 
   Et l’arbre près de sa cabane fut secoué 
Une vague traversa l’étang. 
   En un pfout-pfout la poule sursauta. 
 
« L’amour doit passer à l’acte ! » 
   hurla le vieil ermite. 
Un écho à travers l’étang 
   tenta, retenta de prouver cela. 
 
 
CHEMIN DE FER 
 
Alone on the railroad track 
   I walked with pounding heart. 
The ties were too close together 
   or maybe too far apart. 
 
The scenery was impoverished : 
   scrub-pine and oak ; beyond 
its mingled grey-green foliage 
   I saw the little pond 
 
where the dirty hermit lives, 
   lie like an old tear 
holding onto its injuries 
   lucidly year after year. 
 
The hermit shot off his shot-gun 
   and the tree by his cabin shook. 
Over the pond went a ripple. 
   The pet hen went chook-chook. 
 
“Love should be put in action!” 
   screamed the old hermit. 
Across the pond an echo 
   tried and tried to confirm it. 
 
 
Elizabeth Bishop, deux poèmes extraits de The Complete Poems, Farrar, Strauss et Giroux, traductions inédites de Mathieu Nuss 


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