Influencés par la télévision ? Nous ? Mais non enfin !
Et pourtant, France 2 a voulu le prouver avec un jeu: la Zone Xtrême. Dans celui-ci, un candidat doit administrer des décharges électriques à
un concurrent à chaque mauvaise réponse qu'il lui donnera.
La Zone Xtrême le nouveau jeu de France2
Et ça pique l'électricité! Mais pas cette fois-ci car le candidat n'est qu'un cobaye. L'électrocuté est en fait un comédien, qui crie quand il est sensé crier, pour faire vrai, car en réalité il
n'y a aucune décharge, mais ça, le « bourreau » l'ignore. 80 candidats ont ainsi tenu le rôle de persécuteur, allant jusqu'à infliger des décharges de 400 volts (Enfin pas vraiment...
mais eux ne le savait pas à ce moment là) au pauvre bougre qui ne trouvait pas les réponses.
Ce faux jeu - mais véritable expérience puisqu'il s'agit de l'expérience de Stanley Milgram - a été tourné au début de
l'année 2009. Il doit servir à un documentaire réalisé par Christophe Nick pour France 2, dont la diffusion devrait se faire prochainement.
Si pour le moment il n'y a pas d'émissions telles que Zone Xtrem, on peut se demander si Koh Lanta, qui part du principe de la privation de confort, parfois de nourriture, ou Fear Factor, qui
joue avec les peurs des candidats, et d'autres programmes ne sont pas à leurs façons tout aussi déroutant que le serait Zone Xtrem.
La souffrance morale parfois infligée dans les émissions de téléréalité est-elle plus acceptable que le serait la souffrance physique ?
La soumission à l'autorité
Quand dans les années 60, Stanley Milgram met en place son expérience, il cherche à étudier les réactions de l'individu
face à l'autorité: Un cobaye (qui ne sait pas qu'il est le réel sujet d'étude) doit faire passer un test de mémorisation à quelqu'un d'autre (complice de l'expérimentation et comédien), sous
l'autorité d'un scientifique. A chaque fois que le complice fait une erreur, le scientifique ordonne au cobaye de lui envoyer une décharge électrique. La puissance de la décharge augmente à
chaque mauvaise réponse. La théorie avancé auprès du cobaye est que la peur de la douleur physique pourrait stimuler la mémoire de l'électrocuté.
Milgram met ainsi en lumière plusieurs phénomènes:
- Face à l'autorité, les personnes testées obéissent et administrent les décharges sans ou avec peu de résistance.
- Éloigné de la victime, le « bourreau » a moins de scrupules à l'électrocuter tandis que près de lui, les cris et les visions de douleurs font vite devenir l'épreuve difficile. Pire,
au contact de la victime(S'il faut la maintenir aux électrodes), à peine quelques décharges suffisent avant que cela ne devienne insupportable.
- Si l'autorité est contestée (Un autre scientifique vient donner un ordre contraire), alors il n'y a plus de soumission et le cobaye arrête les décharges.
Les résultats de Milgram sont éloquents.
Cette scène du film I comme Icare reproduit l'expérience.
La banalité du mal
Cette soumission est conceptualisée à la même époque par la philosophe Hannah Arendt dans son livre Eichmann à Jérusalem. Rapport sur la banalité du mal. Son concept de «la banalité du mal» établit que n'importe qui peut devenir un tortionnaire. En
effet, Adolf Eichmann qui fut l'un des maîtres d'oeuvre de la politique d'Adolf Hitler lors de la solution finale étant un homme banal. Il n'éprouvait aucun antisémitisme particulier et ne
souffrait d'aucun trouble mental qui aurait pu le détacher de ses actes ou lui faire y prendre goût. Non, il s'agissait simplement d'un homme comme tout le monde qui faisait ce qu'on lui disait.
Ceci peut être rapproché de l'expérience de Stanford et du «désengagement moral», mais je pense que la notion mérite un article entier, donc j'en parlerais plus tard.
Allô ? C'est la police !
Autre «expérience», et plutôt mauvaise cette fois-ci, de la soumission à l'autorité lorsque des plaisanteries
téléphoniques eurent lieu aux Etats-Unis. Ces canulars qui furent répétés dans plusieurs états consistaient à appeler un fastfood ou une épicerie. Une fois un employé joint, la personne au
bout du fil se faisait passer pour un agent de police. Il convainquait alors l'employé qu'une personne sur place était recherchée par la police. Par la suite l'usurpateur conduisait l'employé à
déshabiller le soi-disant suspect.
C'est ce qui est arrivée à Louise Ogborn, 18 ans à l'époque, qui travaillait dans un Mac Donald du Kentucky.
Sa supérieure Donna Summers l'accusa de vol d'après les instructions qu'elle recevait par téléphone de la « police ». Pendant 2h, la jeune fille subira des humiliations.
Déshabillée, forcée de danser et finalement contrainte à une fellation sur la personne du petit ami de Donna Summers. Tout ça parce que la « police » l'ordonnait. La supercherie n'est
découverte que lorsque Donna appelera sa supérieure, le faux agent lui ayant dit qu'il l'avait en double appel.
Bien que ce dernier exemple soit particulièrement étonnant compte-tenu de la crédulité des protagonistes, il ne faut pas douter que quotidiennement nous nous soumettons à l'autorité (Du
gouvernement, de son entreprise, des médias, de sa famille...) - c'est d'ailleurs cela qui nous permet de vivre en société – il serait donc mal venu de se croire différent et moins exposer
qu'Eichmann, Donna Summers ou que les cobayes de Milgram. Cela doit au contraire nous rappeler qu'il faut toujours garder son sens critique en alerte et que la soumission à l'autorité devient
dangereuse quand celle-ci se met en contradiction avec notre moralité.