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Après le disque, l'heure du numérique sonne aussi pour le livre

Publié le 01 avril 2010 par Jeanchristophepucek

 

jan vermeulen livres et instruments de musique

Jan VERMEULEN (actif à Haarlem, 1638-1674),

Livres et instruments de musique, sans date.

Huile sur bois, 79 x 69 cm, Nantes, Musée des Beaux-Arts.

 

Le début de ce printemps 2010 ne bruit pas que de la brise dans la ramure des arbres. C’est un tout autre vent qui souffle et chahute les feuilles, de papier celles-ci, alors que vient de s’achever à Paris la trentième édition du Salon du Livre, marquée par une réduction de la voilure des grands éditeurs et une fréquentation en baisse de 7% par rapport à celle de 2009, cru, il est vrai, exceptionnel. Le livre numérique, nouvel avatar d’une société engoncée dans un matérialisme galopant qui semble vouloir produire ses efforts les plus acharnés afin d’accélérer la dématérialisation des supports de cette vieille lune qu’on nomme culture, frappe maintenant à la porte de nos salons.

 

Une récente enquête, publiée dans le Figaro (suivez ce lien), montre que 22% des 1008 personnes interrogées (représentatives de la population française et âgées de plus de 18 ans) envisagent, dans l’avenir, de lire sur un support numérique. Ce chiffre, même s’il gagnerait à être affiné en considérant l’avis des 12-18 ans, ne semble donc pas remettre en cause, a priori, la suprématie de l’objet livre, du moins en France. On assiste cependant, depuis quelques semaines, à une mobilisation grandissante de ceux qui vivent de l’imprimé, qu’ils soient éditeurs ou libraires, afin de le défendre bec et ongles face à cette menace encore virtuelle. Et ils ont bien raison d’être inquiets, surtout s’ils observent ce qui est advenu, depuis quelques années, d’un autre support, dont le destin n’a jamais semblé aussi parent de celui du livre, le disque. Pour peu, en effet, qu’à l’instar de ce qui s’est produit pour ce dernier, la façon de consommer la littérature fasse une place de plus en plus large à un picorage soutenu par ce snobisme technologique qui se rengorge de stocker, aujourd’hui sa discothèque, demain sa bibliothèque, sur un processeur, on peut gager que les soubresauts qui agitent l’industrie discographique, il est vrai considérablement attisés, du moins dans le domaine du disque classique, par ceux dont la concupiscence s’oppose à toute vision ne serait-ce qu’à moyen terme (d’où la profusion des rééditions, compilations, récitals et autres ragoûts cross-over douteux), finissent par atteindre également celle de l’édition.

Pourtant, nous assure-t-on, le livre semble avoir mieux résisté à la crise que les autres supports culturels. Ce n’est, en fait, qu’une demi-vérité, car si les ouvrages pratiques et une poignée de best-sellers promus à grand renfort de publicité tirent leur épingle du jeu, les secteurs du roman plus « traditionnel » et de l’essai sont, eux, à la peine (voyez les chiffres les plus récents publiés par le CNL ici). Il ne s’agit pas, bien entendu, de porter des jugements de valeur sur ce qui se lit, mais simplement de constater que ce bastion de la culture que constitue encore la littérature est, à son tour, menacé par des habitudes de consommation de plus en plus marquées par le sceau de la fragmentation et de l’instantanéité, les mêmes que celles qui, si les choses continuent à aller leur train, finiront par avoir la peau du disque et contraindront ceux qui ne le souhaitent pas à se plier au téléchargement, ce modèle qui peut sans doute être pertinent pour les chansons, mais ne convient pas à la musique dite « classique ». J’aurais, sur ce point, souhaité que ceux qui aujourd’hui, ministre de la Culture en tête, cherchent à promouvoir l’accès au livre, s’érigeassent aussi, lorsqu’il était temps de le faire, en défenseurs du disque, plutôt qu’en complices de la curée. Mais il est vrai que nous sommes en France, pays où la musique reste et demeurera sans doute toujours le parent pauvre de la connaissance.

Nul doute que les partisans du livre électronique taxeront ces quelques constats de ratiocinations vieillottes et pessimistes, en m’objectant qu’il représente un fabuleux progrès en matière de diffusion, d’un impact peut-être similaire à celui de l’invention de l’imprimerie. Je n’en disconviens pas, ayant moi-même bénéficié de la mise à disposition d’ouvrages rares numérisés dans le cadre de mes recherches. Je souhaite néanmoins souligner qu’on ne pourra parler de véritable avancée que si le nouveau support n’implique pas l’élimination de l’ancien, dont la longévité est, suprême ironie, bien souvent supérieure à celle de son jeune concurrent. J’espère que les décideurs qui, aujourd’hui, s’emploient à nous priver de l’objet de plaisir et de connaissance qu’est le disque en tentant de nous faire croire que la froideur d’un fichier numérique pourra le remplacer, ne parviendront pas à nous voler également ces bonheurs simples qui consistent à toucher un livre, à en tourner les pages, et à prendre tout le temps qu’il faut pour le déguster.

 

Accompagnement musical :

Jean-Philippe RAMEAU (1683-1764), Pièces de clavecin, 1724 : L’Entretien des Muses.

Christophe Rousset, clavecin Henri Hemsch, 1751.

rameau pieces de clavecin christophe rousset
Pièces de clavecin (intégrale). 2 CD L’Oiseau-Lyre 425 886-2. Indisponible.


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