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Par Ernestoviolin

Le Grain de Sel - Malestroit, Morbihan

Malestroit est une ville sympathique du Morbihan avec des maisons à colombages, une église en ruine où fut signée la trêve de la Guerre de Cent Ans, et une écluse. Refermons le guide touristique : l'intérêt principal d'un village pittoresque, c'est la restauration. Les inévitables produits du terroir, avec des paysans bretons dont le nom finit toujours en ec, les cidres avec des bouts de pomme dedans, les saucissons où l'on peut presque voir le cochon égorgé sous nos yeux, ce genre de choses. Tout n'est pas parfait, bien sûr. En terme de production, la Bretagne est totalement dépourvue des trois choses qui rendent la vie supportable : le vin, le fromage, et la place Stanislas. Mais il ne s'agit pas de faire la fine bouche — en particulier aujourd'hui.

Le Grain de Sel est un bouge sympathique du Morbihan avec des colombages, près de l'église en ruine où fut signée la trêve de la Guerre de Cent Ans, et pas très loin non plus de l'écluse, on s'en doute. On y entre d'un pas décidé comme dans les romans, quand les pas ont des noms. La décoration est plutôt sobre et tant mieux. Seules quelques vaches placardées sur les murs viennent égayer ce qui, de loin, pourrait ressembler à un bistrot sans vache (le but essentiel d'une vache étant toujours de combler un manque lié à une absence de vache.) On est ravi de se faire verser du cidre par la ravissante serveuse, d'autant plus qu'on est dimanche midi (=gueule de bois.) Le premier coup d'oeil jeté au menu est flatteur : nous avons affaire à des artistes. Nems d'escargots, foie gras sur sauce framboise, agneau poilé au brie. Des artistes expérimentaux donc. On imagine un chevalet à côté des fourneaux. Les Jackson Pollock, les James Joyce, les Captain Beefheart de la cuisine...

Une fois le cidre descendu, l'humeur revient, mais pas pour très longtemps : à la table voisine, un couple à l'âge incertain nous dévisage comme si notre présence les gênait. On avertit Mme Violin qui se lance dans le couplet habituel sur la prétendue paranoïa de l'auteur. On commence à manger (on a craqué pour les nems d'escargots en entrée), tout en jetant de furtifs coups d'oeil au couple grincheux. Qui se met à parler plutôt familièrement à la serveuse. Qu'est-ce qui peut les mettre dans cet état ? Difficile à dire. La prévisible victoire du PS n'excuse pas tout. On plaint mentalement la jeune serveuse tout en condamnant ses tortionnaires, calé au fond de sa banquette. On mettra vingt bonnes minutes à comprendre que ce sont en fait ses parents.

Renseignements pris, on opte pour La Marmite du Grain de Sel, la spécialité maison. Une marmite avec du veau, du poulet, du boeuf, marinés dans des légumes vapeurs et des champignons. On est un peu déçu de voir la serveuse revenir avec une simple assiette (on s'attendait bêtement à une vraie marmite), mais la qualité évidente du plat suffit à remplir l'estomac, et pour une fois d'ailleurs, on ne sortira pas en rampant, prêt à dormir derrière un buisson pour digérer.

A l'heure du tremblement de terre à Haïti, des tensions entre les deux Corée, du réchauffement climatique et de l'invasion des méduses japonaises, quelle est l'importance du Grain de Sel, quelle est sa place dans le monde, comment le situer précisément sur le champ de bataille métaphysique que constitue le quotidien ? En attendant le jour pénible mais obligatoire où l'on sera capable de répondre à ces questions, effeuillons ses qualités diverses : une recherche stylistique évidente, qui ne s'accompagne pas, comme c'est souvent le cas, d'une paupérisation spatiale de l'assiette. Les viandes sont tendres et de bonne qualité, on devine qu'il en est de même pour les légumes, même si pour être honnête, une carotte c'est une carotte, bon. L'intention du cuisinier a-t-elle été transmise à nos tables ? Il faut être franc : pas tout à fait. Quelques menus défauts de fabrication (temps de service très long, vins inabordables) donnent un goût amer à l'ouvrage, qui se tient pourtant assez bien sur la longueur.
Au final, on conseillera donc l'endroit aux gens plutôt aisés et en vacances, qui auront tout le temps d'apprécier les plats excentriques de ces dandys au couvre-chef immaculé.


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