Magazine Culture

La maison Rajani - Alon Hilu

Publié le 08 avril 2010 par Malaurie @jfbib

La maison Rajani - Alon Hilu 

Isaac Luminsky vient d’accoster à Tel Aviv avec Esther, sa jeune épouse. Nous sommes en 1895. Ingénieur agronome et sioniste de la première heure, Isaac recherche des terres à acheter pour exercer ses talents professionnels et installer des colonies. Son épouse, revêche et frigide, ouvre un cabinet dentaire.

La maison Rajani se situe à Jaffa, le domaine appartient à un homme d’affaire palestinien. Cet homme violent est souvent par monts par vaux. Il délaisse ses terres, sa femme Afifa et son fils Salah. Ce dernier est un enfant solitaire, rêveur, à l’imaginaire débordant ; mais il est aussi tourmenté, anxieux et dépressif. Ses angoisses de mort inquiètent son entourage.

Le hasard des rencontres fait croiser les destins de ces personnages. L’amour, l’amitié, la mort et la folie s’en mêlent. Isaac conquiert tour à tour l’amitié de Salah, l’amour d’Afifa puis le domaine aux terres si fertiles. Mais Salah a des visions, des djinns maléfiques, des prédictions de malheurs futurs qui s’abattront sur son peuple : l’exil des arabes et les confrontations guerrières avec les juifs. Ces visions inquiètent Isaac. Suffiront-elles à contrecarrer ses plans ?

Une double lecture guide ce récit. Deux écrits, celui d’Isaac qui tient au jour le jour le récit de ses aventures, de ses réflexions sur ses projets et sur les gens qui l’entourent, et les carnets de Salah qui confesse ses pressentiments, ses angoisses et son amertume dans des récits, des poèmes épiques. D’un côté la voix d’un homme mûr, sûr de lui, entreprenant, mais qui se heurte à la mentalité d’un enfant étrange, à la fois attendrissant et inquiétant, dont la violence déstabilise ; d’un autre côté la voix d’un enfant en proie à un imaginaire débordant, qui progressivement ne retrouve plus les limites entre illusion et réalité : il devient la proie de comportements obsessionnels, de crises pithiatiques… Coincé entre des adultes en proie eux-mêmes à des situations inquiétantes (un père violent, absent puis jamais aussi présent que mort, une mère possessive, troublée et dont les repères culturels s’effondrent, une nourrice ancrée dans une tradition envoûtante, un nouvel ami aux comportement si ambigus…) Salah ne trouve pas l’aide et l’équilibre qu’il est droit d’attendre. La folie rôde…

Le rythme imposé par les changements de points de vue (et de style d’écriture) sur un même évènement conduit le lecteur à un regard distancié salvateur. Placé en observateur, le lecteur est seul à percevoir les différentes appréhensions des évènements, sans pour autant s’identifier aux personnages. L’inquiétude grimpant en intensité ne lui permet par forcément d’avoir une opinion tranchée sur le déroulement du récit. Les deux récits ne se rencontrent jamais et l’incertitude ainsi créée offre une lecture passionnante.

Cette tranche de vie, cette rencontre entre deux êtres, deux familles, deux destinées, deux peuples, préfigurent la tragédie qui secoue israéliens et palestiniens. La relation entre Salah et Isaac peut-être inévitablement perçue comme une métaphore des relations entre juifs et arabes. L’auteur, Alon Hilu, ne prend pas position. Juifs et arabes ont dans ce récit tous les travers qu’on pourrait leur reprocher aujourd’hui : arrogance des uns, aveuglement des autres. Ils engagent un combat ou force et faiblesse s’affrontent, ou le déséquilibre des protagonistes (un enfant et un adulte), l’ineptie des référents (manque de clairvoyance des adultes) nous amènent à penser que finalement il parait bien impossible de faire coexister ces deux éléments. La rencontre est pourtant bien réelle, la séduction aussi, mais les travers de l’humanité (convoitise et jalousie, honneur, haine, trahison, revanche…) empêchent toute entente. A croire que la greffe inévitable entre palestiniens et juifs se déroule sur le mode de la folie…

Mais La maison Rajani reste avant tout un roman, une fiction, dont l’objectif est le divertissement et cela est admirablement et intelligemment bien réussi : valse des passions humaines dans un cadre historique et géographique amplement maîtrisé.

Quelques billet de ci de là : chroniques littéraires du Monde, du choix des libraires et de Papillon beaucoup moins enthousiaste. Le site d'Alon Hilu.

Un grand merci à Babelio et aux éditions du Seuil.

 

masse-critique.jpg

La maison Rajani

Alon Hilu, Seuil, (traduit de l’hébreu), 2008 – 24,00 €.



Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Malaurie 915 partages Voir son profil
Voir son blog

Dossiers Paperblog

Magazine