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Tanger : le naufrage du gran teatro cervantes

Par Citoyenhmida

La lecture d’un billet  mis en ligne dernièrement par notre amie «une marocaine » à propos du « Gran Teatro Cervantes » de Tanger m’a rappelé  mes recherches au sujet de cet édifice, entreprises  quand j’écrivais la série de posts sur « Un autre Tanger ».

J’avais même rédigé un billet à ce sujet, jamais publié et  que je m’empresse de ressortir de mes archives pour  vous le  livrer !

Le « Gran Teatro Cervantes » ! Quiconque s’intéresse de près ou de loin à Tanger connaît la façade de  monument !

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Mais peu de gens savent exactement ce que se cache derrière.
Le « Gran Teatro Cervantes » a été le seul, oui je dis bien le seul, l’unique, théâtre au Maroc construit selon les règles de l’art théâtral européen classique !

Dans sa période de gloire, le Gran Teatro Cervantes réunissait  dans  ses « baignoires », ses loges, son parterre et son poulailler,  près de 1.400 spectateurs face à sa scène magistrale.

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L’histoire de cette salle est peu connue et il est bon de la rappeler.
Construit entre 1911 et 1913, sur les fonds  personnels de Manuel Peña et de son épouse doña Esperanza Orellana, richissimes bourgeois espagnols désireux de mettre en valeur l’influence ibérique sur la ville du détroit pour contrecarrer la double présence britannique et française, le « Gran Teatro Cervantes » devait représenter l’Espagne culturelle.
Les travaux furent confiés à l’architecte Diego Jiménez Armstrong   et l’ensemble des matériaux nécessaires a été importé d’Espagne.

Les fresques ornant la coupole et l’intérieur de la salle sont l’oeuvre du peintre espagnol Federico Ribera Bussato, considéré comme le père de scénographie espagnole. Il  a également conçu, en collaboration avec Jose de la Rosa,  la scène avec de magnifiques tableaux représentant des scènes de la nature.

La façade du théâtre, décorée de statues importées Espagne, a été réalisée par l’artiste sévillan Cándido Mata.

Le Gran Teatro Cervantes fut inauguré officiellement et en grandes pompes,  le 12 décembre 1913.

Durant plus d’un demi-siècle, il a accueilli :

·    les plus grandes vedettes de la chanson de l’époque dont les noms ne disent pas grand-chose actuellement comme Juanita Reina (1947), Estrellita Castro, Carmen Sevilla, Imperio Argentina, Antonio Machín, Manolo Caracol, Lola Flores (1949), Antonio Molina (1940) Cecil Sorel.

·    les troupes de théâtre les plus prestigieuses avec des têtes d’affiches célébrissimes  telles que   María Guerrero de Mendoza, Tórtola Valencia (1927), Margarita Xirgu (1929), Miguel Fletta et Youssef Wahbi et Fatima Ruchdi les stars du théâtre égyptien.

·   la troupe de théâtre de Tanger «Al Hilal » qui regroupait quelques jeunes de la ville, y a présenté en 1929 « Othello »  puis « Salah Dine Al Ayoubi » de Najib Hadded et en 1934 « Majnoun Leila » de Ahmed Chawki.

·      des troupes de zarzuela (opérette espagnole) avec  Angelina Villar y Pastora Imperio, Rosario y Antonio, la mexicaine Irma Villa, ou encore Ana María González, la Niña de la Puebla y Antonio Mairena.

·   des voix de l’opéra mondialement connues Tito Ruffo, Carusso et Adela Patti.

La propriété de ce théâtre a été cédée en 1928 par le couple  Pena-Orallana à l’état espagnol, qui est à cette date  toujours propriétaire  du terrain et des murs de cet édifice.

Cette salle prestigieuse a connu après l’indépendance un triste sort, et a fini par sombrer dans le délabrement total.

Durant les années 60, elle servait de salle de projection cinématographique où l’on pouvait encore voir, dans des conditions déplorables avec comme bruit de fond les cliquetis de l’antique appareil de projection,  les pitreries du comique mexicain Cantiflas, les mièvreries avec Joselito, le gamin espagnol à la voix d’or surnommé « El pequeno ruisinol » et avec un peu de chance un film  espagnol néoréaliste des années 50.

Cette salle, prestigieuse en son temps, est laissée dans un état d’abandon absolu par son  propriétaire actuel, à savoir l’état espagnol, comme on le voit sur les photos suivantes.

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Il faut signaler, pour l’anecdote malheureuse, que la municipalité de Tanger a réglé entre 1972 et 1992 aux autorités espagnoles un loyer ridiculement symbolique de UN DIRHAM pour cet édifice qui menace ruine !

Pourquoi cette situation ? N’a-t-il pas été possible de sauver ce monument de la culture tangéroise ?

Il semblerait que l’état espagnol  ait projeté une réhabilitation du Gran Teatro Cerventes, en vue de le transformer en « Centre culturel de rencontres euro-maghrébines »  et éventuellement plus tard en  « Centre de recherches théâtrales » !

En 1994, l’architecte espagnol Vazquez Espi avait présenté au gouvernement de son pays un projet pour renforcer la structure du bâtiment et en 1994 une question orale a été posée au Sénat espagnol pour connaître le montant des allocations prévues pour la réhabilitation de cet édifice, qui il ne faut le perdre de vue, est toujours propriété de l’état espagnol.

En 2003, fut créée une  « Asociación Cervantes de Acción Cultural y Amistad Hispanomarroquí » dont l’objectif est de participer à la sauvagarde du Gran Teatro afin d’en éviter l’effondrement total et définitif.  L’ACAHM a pu singé e en 2006 une convention avec le Directeur des Relations Culturelles et Scientifiques du Ministère espagnol  des Affaires étrangères et obtenir un budget d’environ 200.000 euros pour entamer les travaux nécessaires, dont la moitié aurait été dépensés dans des premières interventions d’urgence.

Mais l’état de délabrement avancé de ce site nécessite, semble-t-il, des efforts financiers et techniques beaucoup plus importants.

On peut toujours rêver !

Le sort de ce bâtiment prestigieux ne semble pas avoir intéressé jusqu’à présent ni les autorités locales de la ville, pourtant tellement  promptes à réagir pour récupérer l’héritage foncier du Duc de Tovar, ni les autorités centrales plus concernées par le développement économique de la ville que par son épanouissement culturel.
P.S. Pour en savoir plus sur ce sujet, voici des références intéressantes pour les lecteurs hispanisants:

  • « El Gran Teatro Cervantes: pasado, presente y futuro », article de Jose Luis Gonzalez Hidalgo, publié dans le « Boletín de la Asociación Española de Orientalistas », année XXXII, 1996, pages.: 133-142.
  • « Presencia cultural de España  en el Magreb », ouvrage collectif sous la direction de V. Morales Lezcano, Editions MAPFRE, Madrid 1993, pages. 192-193.
  • « La pequeña Historia de Tánger », Alberto España, Edition Distribucion Iberica,  (1954).

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